La terre dans l’art contemporain

La terre dans l’art contemporain

Le tout premier travail de la terre, dans la mythologie, remonte à la création d’Adam et d’Eve. « En hébreu homme se dit ish et femme isha. Celui que la Bible nomme Adam n’est pas l’homme en tant que représentant mâle de l’espèce humaine, c’est l’Homme en tant que Principe.

Adam a été façonné avec la poussière de Adama, la terre, mélangée à l’eau. L’hébreu n’est pas la seule langue à associer l’être humain à la terre, humain et humus proviennent également de la même racine.

Mais  Adam n’est pas uniquement matière puisque Dieu lui a donné la vie en soufflant dans ses narines. L’être humain est donc formé de 2 énergies distinctes : la matière (féminine) et le souffle divin (masculin) qui l’anime ; on peut dire aussi que l’humanité est féminine face au Dieu masculin qui lui insuffle la vie. » (Larousse)

L’artiste reproduit ce principe à chaque fois qu’il donne corps à de la terre ou à de l’argile: il souffle dans la matière son inspiration artistique.

On a tous en mémoire les corps fossilisés dans la cendre volcanique de Pompéi. Mais, là, c’est l’oeuvre fatale de la nature ayant eu raison de l’homme.

Les oeuvres créées avec de la terre ont toutes quelques chose d’impalpable et d’indicible, une sorte de « mystère » dû à cette matière malléable aux aspects si particuliers. Une profondeur semble lui être intrinsèque et consubstantielle. Une profondeur viscérale de la terre, qui sublime naturellement les oeuvres, émane d’elle. Elle inspire, brute, le recueillement, la mémoire et le silence sourdissant en elle. « Inquiétante étrangeté » que celle de la terre que nous foulons tous les jours et qui devrait nous être plus familière. « Apparition unique d’un lointain si proche soit-il », comme disait Walter Benjamin, la terre a une « aura » dans les arts plastiques singulière, une sorte d’empreinte magnétique, un « je-ne-sais-quoi » ou un « presque-rien » qui fonde sa différence. Promesse d’une vie à venir, elle est aussi frappée par l’inéluctable fin qui nous guette. C’est un matériau « indiciel » qui porte crûment les stigmates de tous les gestes gravés en lui. La terre a de la « mémoire », de cette capacité naturelle à conserver la trace des moindres passages, voire du souffle, comme le montre Pénone dans ses oeuvres contemporaines.

C’est peut-être pour cette raison qu’elle nous fascine et nous effraie simultanément. La terre est le matériau de l’Origine et du Commencement mais aussi celui de la fin. C’est ce qui lui confère autant de plasticité immédiate quasiment instantanée. Elle serait le Matériau Premier, le matériau originel de l’art lui même.

Mère de toutes ces oeuvres qui vont suivre, elle marque de son sceau instantané les productions qui sont à la fois soeurs et étrangères. Parce que la terre a un seul visage, une seule matière qui se déclinent à l’infini par ses couleurs, ses nuances, ses textures, elle transfigure les oeuvres d’où elle transpire par tous les pores.

Ce sont l’immédiateté de sa présence et l’instantanéité de son aura qui ont guidé les critères plastiques de cet article, mettant de côté les oeuvres en terre cuite repeintes qui pourraient faire l’objet d’un autre écrit.

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La terre offre mille visages pour celui qui la travaille. Malléable, plastique, elle peut être façonnée ou exposée telle quelle. L’argile a été un matériau privilégié des artistes. Mais qu’en est-il de la terre pure ? Est-elle à ce point repoussante qu’il est difficile de l’exploiter dans l’art d’aujourd’hui ?

Marcel Duchamp fait entrer la poussière dans l’histoire de l’art avec son élevage en montrant le temps qui passe.

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Yuhsin U. Chang est une artiste taïwanaise qui vit et travaille à Paris. Comme Marcel Duchamp, elle a choisi de donner à voir cette matière. Mais dans un esprit philosophique différent et sous la forme monumentale de corps surgissant dans l’espace.

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De nombreux artistes ont su très tôt, comme Giuseppe Penone, utiliser la beauté de la terre crue.

Les Souffles, œuvre qui date de 1978, tente ainsi à matérialiser l’immatériel, à rendre tangible le « souffle » qui émane du corps. S’inspirant des recherches de Léonard de Vinci sur la représentation des fluides, l’artiste a déposé son empreinte dans la terre fraîche, qui garde en mémoire le geste, les traces de l’artiste. Reprenant l’ancien mythe biblique de la Création, où le souffle de Yahvé est donneur de vie, comme aussi le mythe grec de Prométhée et d’Athéna où le souffle de la divinité anime la matière inerte, l’artiste donne vie à la matière lui insufflant l’anima.

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Gabriel Orozco Mes mains sont mon coeur, Gabriel Orozco a exploité plusieurs fois cette idée de la trace dans son œuvre sculptée.

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Antony Gormley: « Depuis le début j’essayais de rendre quelque chose aussi direct que possible avec l’argile : la terre. » Dans ses accumulations il examine les divers aspects de la présence humaine dans le monde, recourant souvent à de multiples statues placées dans un paysage naturel ou urbain. Antony Gormley pousse plus loin encore cette réflexion à travers les projets Field. Chacune de ces installations se compose de quarante mille statuettes de terre cuite aux yeux grands ouverts, entassées dans une salle d’exposition, remplissant tout l’espace jusqu’à l’entrée de la pièce où se tient le visiteur. Le spectateur est ainsi projeté en face de l’autre, des autres dans une posture magnifiée due au changement d’échelle: les statuettes sont petites à ras le sol et le regardeur est placé ainsi dans la posture d’un géant. Il met en scène la volonté de toute-puissance humaine sur l’humanité et sur le monde.

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Charlotte Nordin façonne la terre en organisant des paysages atypiques, comme cette Forêt inconnue « L’entité qu’est la forêt me conquiert dans ce qu’elle nous offre et ce qu’elle nous cache. Elle m’interroge. Pour assouvir le manque de compréhension que j’éprouve à son égard, j’entends la reproduire selon l’idée que je m’en fais. »

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Gianni Colosimo a choisi de revisiter et de réinterpréter des œuvres emblématiques du XXe et XXIe siècle. Le « vase volé » de Jean-Pierre
Gianni Colosimo, “Le vase volé de Jean-Pierre“, 2011. Deux bases carrées en céramique blanche, terre, jouets de plage 150 x 150 x 30 cm

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Dans un paysage extraterrestre ci-dessous, composé de terre et d’eau, les étranges petits animaux posent des questions liées au temps, à l’évolution (humaine, organique, végétale et animale), au présent etc. Mathieu Mercier – Sublimations: éclairage néon, terre, aquarium, eau, couple d’axolotls: L’axolotl fait partie des animaux ayant la capacité de passer toute leur vie à l’état larvaire sans jamais se métamorphoser en adulte (on parle de néoténie), et donc de se reproduire à l’état larvaire (pédogenèse). L’artiste pose la question du devenir de notre planète et de sa genèse.

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Adolfo Schlosser, Le ciel sur la terre: Les neuf cercles concentriques évoquent des cultures ancestrales, des symboles solaires, des gravures rupestres préhistoriques et l’idée d’une forêt mythique.

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Angelika Markul met en place un corpus d’oeuvres sombres et puissantes, dessinant une cartographie de l’humanité jusque dans ses territoires les plus reculés. Le temps, la mémoire, l’Homme et la nature sont autant de fils directeurs pour cette artiste qui s’intéresse particulièrement aux paysages peu banals et ravagés.

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Dimitri Tsykalov, Heart, 2003, humus, terre, branches, 170 x 100 x 100cm. La terre est vue comme un coeur géant où le sang seraient les racines et les arbres, poumons de la nature.

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Giuseppe Licari, Humus, l’artiste renverse les éléments: la terre devient l’espace de l’exposition, le spectateur lui-même. L’ombre projetée des racines s’étale sur le sol comme pour retourner dans son territoire originel. L’espace de l’oeuvre est un interstice entre le ciel et la terre où l’art s’expose. Le regardeur déambule lui aussi dans cet entre-deux plastique où la nature est suspendue. L’humus est la couche supérieure du sol créée et entretenue par la décomposition de la matière organique, principalement par l’action combinée des animaux, des bactéries et des champignons du sol. L’humus est une matière souple et aérée, qui absorbe et retient bien l’eau.

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 Évelyne Galinski sculpte dans la terre cuite enfumée des visages comme endormis. Ils paraissent à cause des aspérités presque vivants.

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Cette artiste nous rappelle les oeuvres d’Ousmane Sow. Il a inventé sa propre matière lui servant pour sculpter. Il maintient volontairement le secret de sa fabrication. Cette mystérieuse mixture est un mélange de sable, de jute et de paille avec une vingtaine de produits qui font l’objet d’une longue macération dans des tonneaux de plus de deux cents litres.

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Les artistes actuels montrent plutôt un visage insoumis de la terre avec des mises en scène étranges et qui poussent au questionnement sur notre identité, notre rapport à la terre, notre rapport au monde. A la fois matériau reliant aux ancêtres, chargée d’histoire et de symboles, la terre est en ce jour loin de porter un message optimiste. Elle interroge par sa poésie brute et inquiétante l’avenir de l’art mais aussi de l’humain. La nécessité pour certains artistes de la faire rentrer dans les Musées devrait nous faire réfléchir à notre rapport à la terre, à notre relation à cette matière première d’où sont nées la vie et l’humanité qui, jusqu’à aujourd’hui, s’en est emparée et l’a investie.

Pour finir, un projet au coeur de la terre pour faire entendre le bruit de ses entrailles:

Peut-on entendre la Terre ?

La question est à la fois scientifique, métaphysique, et poétique. Quel bruit produit notre planète en tournant sans cesse sur elle-même et autour du Soleil ? Pour immortaliser la mystérieuse musique, une jeune artiste néerlandaise, Lotte Geeven, dit avoir entrepris un « voyage au fond du trou le plus profond du monde accessible à l’homme ». (cliquer sur l’image pour entendre la vidéo)

Capture d'écran - copie

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10 commentaires

  1. lucascorreacandido

    Bonjour.

    Je dois faire un travail sur un ouvre de Gaetano Presce: verre inch’allah. Je demande pourquoi il a utilisé cette texture et au la relation entre la création, le commencement et le fin à été express ( pardon pour le mauvais Français).

  2. chapeau

    Un grand Merci, quelle richesse dans ces dossiers thématiques! Et à chaque fois une source d’inspiration, des ressources et une diversité pour nos réfléchir à nos références artistiques…

  3. Gabrielle

    Bonjour ! Merci beaucoup pour l’article, très intéressant ! Toutefois le manque de références est dérangeant. Quelles sont vos sources? Vous incorporez des images sans nous laisser savoir de quelle oeuvre il s’agit. Sans faire une bibliographie exhaustive, quelques références aiderait la pertinence de votre article. Merci encore !

  4. argout

    coucou merci pour cet article et les photos très belles
    mais c’est le contraire l’homme yang = la terre et la femme Yin est le souffle de la mère divine= le ciel (voir Egypte ancienne Nut et Geb et l’Inde sanscrit Shiva & Pavarti qui est sa (Shakti) la puissance créatrice qu’elle souffle à Shiva, contrairement au monde grec très matcho comme la religion chrétienne ou musulmane. Om Shanti, Shanti, Shanti

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