La musique flamenca a une force en elle qui nous dépasse. Lorsque nous écoutons du flamenco, nous sommes emportés par le rythme, le son de la guitare, par le chant et la danse. Cette force musicale pour les amateurs éclairés, aficionados ou mieux, cabales, s’explique par un terme générique » le duende ». Ce « duende » est cette capacité de cette musique à soulever et emporter le public en même temps, au même instant. C’est une sorte de catharsis ou d’état de grâce collective qui s’exprime simultanément dans ce « duende ». Nous sommes tous à la recherche dans nos cours de ce « duende », de cette force vive et active qui s’exprime à la fois individuellement et collectivement.
Cette musique, issue de la tradition orale se transmettait dans la famille et connaît aujourd’hui un succès universel. L’apprentissage du flamenco nécessite beaucoup de connaissances mais possède en lui une grande marge de liberté.
Plusieurs formes musicales existent au sein du flamenco des plus codifiées, par exemple l’alegria, la buleria, la solea, la suguiriya tandis que la taranta est une forme libre au niveau rythmique.
Il y a donc deux fondamentales coexistant dans le flamenco: le cadre et la liberté.
C’est bien ce cadre et cette liberté qui sont au coeur de nos apprentissages menés avec les élèves. Mais lorsque nous faisons cours, à quel moment définissons-nous un cadre ou alors un espace de créativité plus libre ? Nos situations problèmes mettent l’élève devant la difficulté de faire éclater un cadre qu’il doit trouver de manière intuitive, ou plus simplement à découvrir un nouveau champ de possibles. Il y a plusieurs manières de faire voler en éclat ce cadre (préjugés) spécifique aux arts plastiques. Ou plutôt de manière positive, il existe plusieurs façons de dépasser le cadre dans les cours d’arts plastiques.
Le jazz quant à lui, par sa structure est une musique de la liberté modale s’inscrivant dans un cadre harmonique dont les extrapolations tendent également à s’échapper tout en gardant l »idée de fonction harmonique. Les deux notions sont intimement liées. Il existe dans le jazz, comme dans le flamenco, un espace totalement libre: le jeu out qui n’obéit à aucune règle mais se positionne par rapport à elle. L’équivalent dans les arts plastiques serait un sujet libre. Mais, pour l’avoir expérimenté plusieurs fois dans ma carrière, la liberté n’est pas innée: elle s’acquiert avec des outils devenus autonomes mais conçus au préalable dans un cadre précis. Lorsqu’on propose un « sujet libre » ou plutôt une « production libre » aux élèves, force est de constater leur conditionnement contre lequel nous tâchons de les faire évoluer : tous prennent spontanément une feuille de papier canson et un crayon à papier. L’espace de liberté qu’ils s’accordent est dans l’étendue de la représentation. Après avoir constaté l’uniformité des réponses données spontanément au sein d’une mise en commun, les élèves, en un déclic soudain, réalisent combien ils se sont censurés et réservés peu de liberté dans leur production. Encore un constat qui nous amène à penser que la liberté ne se conquiert que par l’exercice du cadre, que cette liberté n’est pas innée.
Le flamenco, pour poursuivre, fonctionne de la manière suivante: les compositions sont des collages de « falsetas » (petits morceaux mélodiques et rythmiques) agencés les uns par rapport aux autres dans le but de créer une tension. Il y a une progression dans ce collage de « falsetas » ( traits du guitariste s’intercalant au chant ou à la danse) qui tend vers leur paroxysme. Un cours d’arts plastiques est un collage subtil d’explorations et de réinvestissements suivant une progression liée à l’objectif.
Notre système d’explorations et de réinvestissements peut faire penser au jazz avec le thème exposé une première fois connaissant son développement avec les ré-expositions de celui-ci selon des formes ABBA, ABAB, ABCA etc … Les chorus sont autant de réinvestissements de ce qui a été exposé dans le thème.
La réflexion porte sur l’équilibre cadre/liberté qui anime ces musiques mais aussi nos cours d’arts plastiques. C’est bien cet aller retour entre cadre et liberté qui motive le sens de notre enseignement. La connaissance d’autres systèmes – par exemple ici de deux cas musicaux – peuvent nourrir notre réflexion pédagogique et didactique. Comment articuler cadre et liberté dans nos enseignements ?
Wassily Kandinski a établi des liens entre la peinture et la musique. Pourquoi ne pas nous accorder cette liberté de croiser enseignement des arts plastiques et ces deux formes musicales ? Olé ! Yeah!
Billet d’humeur en écoutant Paco de Lucia, Camaron, Tomatito, Vicente Amigo et Moraito et John Coltrane … bien sûr!
Peintures de Julio Romero de Torres
Merci pour cette réflexion transversale sur les musiques flamenca et jazzy et les arts plastiques. Je partage cet intérêt pour une ouverture vers d’autres champs qui permet de penser autrement. Et je pense aussi à la danse et notamment à Israel galvan qui bouscule la « tradition » dans une recherche radicale du duendé (voir à ce sujet le beau texte de G. Didi-huberman: Le danseur des solitudes, aux Editions de Minuit).
Samia
Je vais lire ce texte de Didi-Huberman. Cela me fait plaisir de vous lire et de voir que vous partagez cette vision transversale de notre enseignement. Vous avez du soniquete ! Olé
Merci pour le conseil de cette lecture. Le texte de Didi-Huberman est saisissant !