Le jardinier au chou, Francis Moreeuw

Francis Moreeuw m’a offert cette toile qui surplombe mon bureau depuis quelques années déjà. Je ne me lasse pas de la regarder avec ses couleurs vives et ses jeux de complémentaires.

Le jardinier à force de labeur se transforme lui-même en chou. Je me suis souvent posée la question de cette métamorphose. Pourquoi Francis Moreeuw a-t-il peint ce tableau ? D’autres animaux se camouflent dans le paysage: des grenouilles à gauche et un gros lézard vers la droite. Un coq et un chien. Dans la partie supérieure se trouvent les animaux sauvages et dans l’inférieure les animaux domestiques. La grenouille se métamorphose tandis que le lézard mue: tous deux partagent ces transformations. On dit que la métamorphose est complète quand l’état de départ n’a rien à voir avec l’état définitif.

Le paysan est le roi dans ces deux mondes qui sont séparés par la ligne oblique formée de la pente du toit se prolongeant avec les lignes de la brouette.

Ce tableau est composé comme un puzzle avec des parties qui s’emboîtent les unes dans les autres.

Mais pourquoi ce nez en forme de chou défigurant ainsi son visage ?

C’est en me souvenant de ma visite dans son atelier que j’ai compris le fin mot de l’énigme. Le jardinier, c’est le « peintre de la nature » qui sème et récolte les couleurs dans le jardin. C’est par lui que vivent la nature et les animaux. Le jardinier est la métaphore du peintre qui sème les couleurs sur la toile. Le jardinier c’est Francis dans son atelier baignant dans les couleurs, les toiles comme des lopins de terre bien entretenus.

Il faut être attentif à la surface de la toile pour voir une texture satinée sur le corps du jardinier et de sa brouette. Les vêtements et la brouette sont des documents imprimés qui s’intègrent parfaitement bien au reste du tableau. Serait-ce le point de départ de cette peinture ?

Dans tous les cas, le jardinier c’est le peintre, c’est Francis qui plante ses tomates, carottes, fraises et fleurs à coups de tubes acrylique dans les lopins de ses toiles. C’est le peintre qui devient lui-même couleurs, ivresse du labeur.

Mais on peut aller encore plus loin. Le chou peint est bien plus appétissant que le chou imprimé. Francis Moreeuw ne ferait-il pas une critique de la culture intensive et industrielle car en effet, l’image imprimée fait référence au multiple, à la masse ?

Les feuilles du chou font penser à des artères et veines qui nourrissent le jardinier. Tout circule dans le tableau. La couleur serait une forme d’addiction pour le peintre qui ne sait s’en passer. Le rouge qui inonde la toile fait référence au vin et au sang. Pour Francis, la peinture serait une question de survie ou du moins vitale.

Je regarde encore une fois cette toile au dessus de mon bureau et je me souviens bien des circonstances du don de cette peinture par Francis. Il y en avait plusieurs mais dès que j’ai vu celle-là, elle m’a accrochée instantanément et je ne savais pas pourquoi.

Aujourd’hui je sais. Cette peinture relate l’incarnation de la peinture qui se fait image par le labeur et l’ivresse de l’artiste. Labeur et labourage ont bien la même étymologie. Chez Francis, les toiles poussent comme des cerises ! Et Francis se place en tant que « résistant-peintre-unique » dans ce monde industriel et d’images de masse.

Une internaute dans les commentaires fait remarquer à juste titre que le jardinier se prolonge en chou et inversement comme les pieds et les chaussures dans la peinture de Magritte.

Pour ma part, j’ai fait une relation avec les peintures de Vermeer, notamment la dentellière où les coulures s’incarnent en peinture.

On voit bien ce qui réunit ces trois oeuvres : la notion de labeur, de travail quotidien, avec tous les sacrifices que cela engendre. Francis comme Magritte ou Vermeer font de leur vie un immense champ de couleurs qu’ils cultivent comme des fermiers, des travailleurs. Ce sont des ouvriers-paysans de la peinture-nature. Le peintre est ce lézard géant à la mue de grenouille qui prend les formes et les couleurs de ce qu’il peint. Bravo Francis !

Immense cadeau.

4 commentaires

  1. peinturleur

    Dalí disait :
    « Il me paraît parfaitement diaphane, quand mes ennemis, mes amis, et le public en général prétendent ne pas comprendre la signification des images qui surgissent et que je transcris dans mes tableaux. Comment voulez-vous qu’ils les comprennent quand moi-même, qui suis celui qui les ’fait’, je ne les comprends pas non plus ? »
    Il m’arrive souvent de réaliser des peintures de manière automatique (chère aux surréalistes).
    Certes j’ai une vague idée, une esquisse parfois, mais ensuite mon esprit vagabonde librement avec humour. Une fois fini, je ne sais pas toujours pourquoi ceci, pourquoi cela. Toi ma très chère Danièle tu es une vraie magicienne. Tu analyses avec une grande subtilité et intelligence et tu me fais découvrir de merveilleuse choses. J’ai une chance inouïe de t’avoir comme amie. C’est cela l’immense cadeau.
    Je t’embrasse
    Francis

    1. artsplastiques

      Merci Cher Francis. Je ne pense pas que l’on crée à partir de rien. La conscience et l’inconscient enregistrent bien des choses. On assimile à notre insu des systèmes, des messages, des codes, des structures etc qui ressurgissent malgré nous dans nos productions. Une image même produite inconsciemment est le fruit d’un long travail que l’analyse peut mettre à jour. A condition de s’en tenir à des observables bien tangibles. C’est ta peinture qui est un immense cadeau. Bien des bises Cher Francis.

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Le jardinier au chou, Francis Moreeuw

Francis Moreeuw m’a offert cette toile qui surplombe mon bureau depuis quelques années déjà. Je ne me lasse pas de la regarder avec ses couleurs vives et ses jeux de complémentaires.

Le jardinier à force de labeur se transforme lui-même en chou. Je me suis souvent posée la question de cette métamorphose. Pourquoi Francis Moreeuw a-t-il peint ce tableau ? D’autres animaux se camouflent dans le paysage: des grenouilles à gauche et un gros lézard vers la droite. Un coq et un chien. Dans la partie supérieure se trouvent les animaux sauvages et dans l’inférieure les animaux domestiques. La grenouille se métamorphose tandis que le lézard mue: tous deux partagent ces transformations. On dit que la métamorphose est complète quand l’état de départ n’a rien à voir avec l’état définitif.

Le paysan est le roi dans ces deux mondes qui sont séparés par la ligne oblique formée de la pente du toit se prolongeant avec les lignes de la brouette.

Ce tableau est composé comme un puzzle avec des parties qui s’emboîtent les unes dans les autres.

Mais pourquoi ce nez en forme de chou défigurant ainsi son visage ?

C’est en me souvenant de ma visite dans son atelier que j’ai compris le fin mot de l’énigme. Le jardinier, c’est le « peintre de la nature » qui sème et récolte les couleurs dans le jardin. C’est par lui que vivent la nature et les animaux. Le jardinier est la métaphore du peintre qui sème les couleurs sur la toile. Le jardinier c’est Francis dans son atelier baignant dans les couleurs, les toiles comme des lopins de terre bien entretenus.

Il faut être attentif à la surface de la toile pour voir une texture satinée sur le corps du jardinier et de sa brouette. Les vêtements et la brouette sont des documents imprimés qui s’intègrent parfaitement bien au reste du tableau. Serait-ce le point de départ de cette peinture ?

Dans tous les cas, le jardinier c’est le peintre, c’est Francis qui plante ses tomates, carottes, fraises et fleurs à coups de tubes acrylique dans les lopins de ses toiles. C’est le peintre qui devient lui-même couleurs, ivresse du labeur.

Mais on peut aller encore plus loin. Le chou peint est bien plus appétissant que le chou imprimé. Francis Moreeuw ne ferait-il pas une critique de la culture intensive et industrielle car en effet, l’image imprimée fait référence au multiple, à la masse ?

Les feuilles du chou font penser à des artères et veines qui nourrissent le jardinier. Tout circule dans le tableau. La couleur serait une forme d’addiction pour le peintre qui ne sait s’en passer. Le rouge qui inonde la toile fait référence au vin et au sang. Pour Francis, la peinture serait une question de survie ou du moins vitale.

Je regarde encore une fois cette toile au dessus de mon bureau et je me souviens bien des circonstances du don de cette peinture par Francis. Il y en avait plusieurs mais dès que j’ai vu celle-là, elle m’a accrochée instantanément et je ne savais pas pourquoi.

Aujourd’hui je sais. Cette peinture relate l’incarnation de la peinture qui se fait image par le labeur et l’ivresse de l’artiste. Labeur et labourage ont bien la même étymologie. Chez Francis, les toiles poussent comme des cerises ! Et Francis se place en tant que « résistant-peintre-unique » dans ce monde industriel et d’images de masse.

Une internaute dans les commentaires fait remarquer à juste titre que le jardinier se prolonge en chou et inversement comme les pieds et les chaussures dans la peinture de Magritte.

Pour ma part, j’ai fait une relation avec les peintures de Vermeer, notamment la dentellière où les coulures s’incarnent en peinture.

On voit bien ce qui réunit ces trois oeuvres : la notion de labeur, de travail quotidien, avec tous les sacrifices que cela engendre. Francis comme Magritte ou Vermeer font de leur vie un immense champ de couleurs qu’ils cultivent comme des fermiers, des travailleurs. Ce sont des ouvriers-paysans de la peinture-nature. Le peintre est ce lézard géant à la mue de grenouille qui prend les formes et les couleurs de ce qu’il peint. Bravo Francis !

Immense cadeau.

4 commentaires

  1. peinturleur

    Dalí disait :
    « Il me paraît parfaitement diaphane, quand mes ennemis, mes amis, et le public en général prétendent ne pas comprendre la signification des images qui surgissent et que je transcris dans mes tableaux. Comment voulez-vous qu’ils les comprennent quand moi-même, qui suis celui qui les ’fait’, je ne les comprends pas non plus ? »
    Il m’arrive souvent de réaliser des peintures de manière automatique (chère aux surréalistes).
    Certes j’ai une vague idée, une esquisse parfois, mais ensuite mon esprit vagabonde librement avec humour. Une fois fini, je ne sais pas toujours pourquoi ceci, pourquoi cela. Toi ma très chère Danièle tu es une vraie magicienne. Tu analyses avec une grande subtilité et intelligence et tu me fais découvrir de merveilleuse choses. J’ai une chance inouïe de t’avoir comme amie. C’est cela l’immense cadeau.
    Je t’embrasse
    Francis

    1. artsplastiques

      Merci Cher Francis. Je ne pense pas que l’on crée à partir de rien. La conscience et l’inconscient enregistrent bien des choses. On assimile à notre insu des systèmes, des messages, des codes, des structures etc qui ressurgissent malgré nous dans nos productions. Une image même produite inconsciemment est le fruit d’un long travail que l’analyse peut mettre à jour. A condition de s’en tenir à des observables bien tangibles. C’est ta peinture qui est un immense cadeau. Bien des bises Cher Francis.

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