Présentation
Comment figurer sur un plan un espace horizontal et une étendue dans la profondeur ? Comment représenter un paysage avec son horizon lointain ? Le paysage n’est pas si simple à représenter : en effet comment figurer l’espace qui nous sépare des montagnes, comment représenter le sol ? La vue aérienne élimine ce problème mais pose celui de la hauteur des différents reliefs. Euclide, mathématicien de la Grèce Antique, a proposé une méthode géométrique avec la perspective qui a eu une grande influence sur la peinture. Jusqu’au XIXème siècle, les peintres même naturalistes peignaient les paysages dans leur atelier. La photographie en outre a poussé les peintres à rechercher de nouvelles voies cette fois-ci non plus mimétiques. Avec l’art contemporain, le paysage devient lui même le matériau des oeuvres d’art. Pour rédiger cet article complexe, j’ai suivi en partie le plan du site « Rivage de bohème » où on trouve des articles très complets où vous pourrez compléter votre observation avec des informations complémentaires : j’ai ajouté le regard du plasticien se penchant sur les oeuvres citées sur ce site en ajoutant d’autres signifiantes.
Les Egyptiens représentent le paysage en prélevant des éléments de celui-ci illustrant la narration.
Seuls les éléments frontaux figurent dans la fresque. « Les Égyptiens peuvent utiliser des éléments de paysage comme décoration murale dans les tombeaux ou palais. Une telle ornementation ne concerne qu’une toute petite partie de la population : les gouvernants et ceux qui gravitent autour d’eux, comme les fonctionnaires de niveau élevé. Les scribes figuraient parmi ces fonctionnaires car savoir écrire était rare et réservé à une petite élite. Ce sont des artisans qui réalisent ces décors et ils ne doivent surtout pas rechercher l’originalité. Leur travail consiste à reproduire un modèle canonique. Des vestiges de peintures très anciennes à motif paysager, remontant à plus de 3 000 ans, ont été découverts. » (1)
Peinture murale, 64 × 72 cm, British Museum, Londres. Cette peinture représente le jardin du scribe, dans lequel se trouve un bassin avec des poissons. Les différentes variétés d’arbres sont juxtaposées verticalement ou horizontalement. (1). Les points de vue s’assemblent afin de donner un maximum d’information concernant le jardin. C’est une perspective « intellectuelle »(2) qui cherche à rendre tous les éléments sans tenir compte de l’effet d’imitation de la réalité.
Les Egyptiens savaient très bien représenter de manière fidèle la nature. Mais les codes et canons de l’époque imposaient une certaine manière d’évoquer la nature.
Mastaba de Merefnebef, chasse, détail 2 (v. -2350-2160).
Les romains vont rechercher le réalisme dans leur peinture. Au XVIIIe siècle, les villes de Pompéi et Herculanum qui avaient été ensevelies sous la lave du Vésuve en 79 avant Jésus-Christ, ont été retrouvées et mise à jour. On y a découvert des fresques en parfait état de conservation. Ces fresques témoignent des recherches faites par les peintres de l’antiquité romaine pour représenter la profondeur: on voit bien le dégradé apparaissant derrière l’ouverture suggérant un paysage loitain.
Pendant le Moyen-Âge, le paysage est représenté en plans se succédant verticalement les uns après les autres. Une perspective aérienne dégrade les couleurs dans les lointains de l’horizon.
Campamento aragones a Mallorca. Pinturas goticas del MNAC procedesntes del Palau Caldes 1280. La profondeur est représentée par la verticale : plus l’élément est en hauteur, plus il est loin. Les personnages sont surdimensionnés car le propos à cette époque n’était pas de figurer fidèlement la réalité mais de mettre graphiquement en scène l’histoire racontée.
Robinet Testard, Paysage champêtre, Poitiers ou Cognac. © Bibliothèque nationale de France. Dans celui-ci, on remarque une perspective atmosphérique qui a pour effet, entre autres, d’intégrer le personnage dans le paysage mais elle paraît flotter sur le sol. Les animaux en revanche sont plus ancrés dans le pré avec cette légère ombre portée apparaissant sous leur abdomen.
Sébastien Mamerot, Passages faits outre-mer,France Bourges, fin du XVème siècle. Dans cette enluminure, quatre plans successifs rendent compte de la profondeur. De nombreux détails viennent caractériser le paysage. Celui-ci commence à devenir un vrai sujet de peinture.
Le Livre du Cœur d’Amour épris (1457), Vienne, ONB, cod.
Coeur d’Amour épris, l’ombre en perspective donne l’effet de profondeur. Le paysage est illuminé et rayonnant. La tombe est également représentée en perspective. Le personnage est bien ancré dans le paysage avec son ombre portée.
La Déposition de Croix, Giotto 1305. Le paysage tend vers l’abstraction pour mettre en évidence les personnages ainsi paraissant plus réalistes.
Ce sont les primitifs flamands et italiens qui ont remis au goût du jour la perspective euclidienne. Les paysages deviennent plus réalistes et précis. Bien que totalement inventés, ces paysages participent à la narration de l’image. Le paysage n’est pas encore un sujet pictural. La peinture à l’huile va également révolutionner la manière de peindre et donner un éclat nouveau aux peintures.
Van Eyck représente un paysage avec une infinité de détails nouveaux pour l’époque. On devine l’arrière-plan bleuté qui confère au panneau une grande profondeur.
Paolo Uccello. Saint Georges terrassant le dragon (v. 1456). Le paysage oppose deux mondes qui se téléscopent :l’ancien monde en friche, non maîtrisé par l’homme et le monde nouveau bien ordonné par le travail humain. Paolo Uccello vante ici les mérites de la nouvelle civilisation en marche consistant à maîtriser la nature et à mettre l’homme au centre de ses actions.
Domenico Ghirlandaio. L’appel des premiers apôtres (1481)
Le paysage est panoramique et grandiose. Une perspective spectaculaire aérienne donne de la profondeur presque mystique à l’ensemble du paysage. « Ce chef-d’œuvre qui allie narration, émotion (visages du Christ et de Pierre et André), réalité contemporaine (portraits) et paysage grandiose dans un ensemble chromatique exceptionnel, est unique dans l’œuvre de Ghirlandaio. On peut considérer ce paysage comme une préfiguration du paysage-monde qui se développera dès le début du 16e siècle. » (1)
Les paysages-portraits : Van Eyck, dans La Vierge au Chancelier Rolin, place dans une scène religieuse un somptueux paysage. Celui-ci n’est pas réaliste mais symbolise des lieux sacrés.
« Les portraits furent d’abord réalisés sur un fond sombre, puis, sans doute sous l’influence des scènes religieuses, le paysage apparut à l’arrière-plan. La Vierge du Chancelier Rolin de Van Eyck marque à cet égard un tournant. A la fois scène religieuse, avec une représentation de la Vierge, et portrait du Chancelier, ce tableau constitue une suggestion à placer un paysage derrière le portrait afin de donner à la composition plus de profondeur et un aspect moins austère. L’exemple sera suivi aussi bien en Flandre qu’en Italie. »(1)
Piero della Francesca. Le triomphe de la chasteté, avers (1465-66). Le paysage accentue la frontalité des personnages vus de profil. Le contraste est saisissant. Le paysage et son étendue incarnent le pouvoir du Duc d’Urbino sur ses terres.
Le premier peintre de paysages : Albrecht Dürer
C’est le premier peintre à avoir proposé des paysages peints pour eux-mêmes et d’après la réalité.
Albrecht Dürer. L’Église Saint-Jean à Nuremberg (v. 1489)
Aquarelle sur papier, 29 × 42 cm, musée de l’Hermitage, Saint-Pétersbourg.
Dürer fixe ce qu’il voit dans des études faites à l’aquarelle dont il se servira dans ses peintures officielles. Le genre du paysage n’existe encore pas mais c’est le premier peintre à avoir effectué cette démarche.
Albrecht Dürer. Vue du val d’Arco (1495).
« L’artiste n’a pas traité l’arrière-plan montagneux qui se situe derrière la colline, mais a laissé le fond non travaillé du papier. L’une des caractéristiques de cette aquarelle est un visage de vieillard plus ou moins distinct, caché dans la roche de la falaise abrupte de gauche. »(1)
Le XVIème siècle : le paysage devient un sujet pictural à part entière
Giorgione. La tempête (v. 1505).
Le titre oriente la lecture du tableau où règne en effet une tempête de contrastes. Cette tempête serait-elle en fait la colère des cieux menaçant l’homme volant la nudité du sein de la jeune femme allaitant ?
Véronèse. Paysage (1560-61).
Véronèse est audacieux : il prend un format tout en hauteur pour figurer l’étendue. La branche située en haut à gauche incarne un premier plan qui se prolongerait derrière le regardeur. Par cet artifice de la branche et le hors-champ qu’elle suggère, le spectateur fait partie intégrante de la scène.
Le Greco. Vue de Tolède (1597-99). Il ne s’agit pas ici d’une restitution mimétique de la ville de Tolède mais plutôt une interprétation de l’ordre de la vision : un paysage éclair avec des zébrures inscrites dans le sol et s’élevant jusqu’au ciel.
Le paysage monde des flamands :
Ce concept désigne les peintures de paysages où se déroule une scène religieuse presque anecdotique dans une étendue gigantesque et panoramique.
Joachim Patinir. Paysage avec saint Jérôme (1515-19).
Le XVIIème siècle :
La fin du 16e siècle, en Italie, est marquée par une dualité stylistique entre le baroque, dont le chef de file est Caravage, et un retour au classicisme de la Haute Renaissance avec les Carrache (Carracci). Cette seconde tendance aura une influence déterminante sur la peinture de paysage italienne et française.
Annibal Carrache. Paysage fluvial (1590). Le peintre réalise un paysage idéal où règne une stabilité et souvent dans une atmosphère calme.
« En ce qui concerne le paysage, le respect des prescriptions antiques s’impose, en particulier celles de Vitruve (v. 90-20 av. JC) qui préconisait de corriger par la peinture les défauts de la nature. »(1)
Le paysage descriptif flamand :
Vermeer, La Vue de Delft
L’étude de la lumière est manifeste dans ce paysage avec ses couleurs et ses reflets.
Les paysages anthropomorphiques : des visages sont dissimulés dans le paysage. Deux images cohabitent dans une parfaite composition.
MERIAN Matthaüs (1593-1650), Paysage anthropomorphe, après 1610,
huile sur bois, 34,2x47cm, Collection particulière (tableau réversible).
ANONYME, Maître des Pays-Bas méridionaux, Paysage anthropomorphe, seconde moitié du XVI° siècle,
bois de chêne, 50,5×65,5 cm, Bruxelles, Musée Royal des Beaux-Arts de Belgique (tableau réversible).
Au cours du XVIIIème siècle, les peintres reprendront les canons fixés par les peintres du XVIIème soit flamands, allemands ou italiens.
Les fêtes galantes :
Antoine Watteau. Pèlerinage à l’Île de Cythère (1717).
Les caprices et vedute :
« La veduta (vedute au pluriel) est une représentation réaliste, aussi exacte que possible, du paysage urbain. L’objectif de fidélité se traduit par une méthode de travail à l’extérieur reposant sur l’observation et la prise de multiples croquis préparatoires. Le tableau est ensuite réalisé en atelier. »(1)
La Tamise vue de la terrasse de Somerset : une veduta classique de Canaletto, 1747
« Les capricci (capriccio au singulier) sont des compositions mettant en scène des personnages ou des épisodes de la tradition chrétienne sur fond de ruines antiques. »(1)
Giovanni Paolo Pannini. Ruines avec Saint-Paul prêchant (1735).
Le paysage au XIXème siècle :
Le XIXème marque une rupture avec les habitudes des siècles précédents. Les Romantiques font des paysages de véritables scènes expressives où les émotions traversent les personnages et le paysage grandiose bien souvent.
Caspar David Friedrich. Voyageur contemplant une mer de nuages (1818).
Turner en Angleterre saisit les ambiances lumineuses dans les paysages.
Le réalisme avec Constable : l’artiste se rapproche le plus possible de la réalité. L’artiste compose son tableau dans l’atelier à partir de croquis et d’études faits sur le site.
« Lorsque la photographie se développe, à la fin du 19e siècle, l’objectif de réalité que s’assignait le peintre ne présente plus grand intérêt. La photographie, en se perfectionnant, pourra capter des images multiples et de qualité croissante. La peinture doit alors se tourner vers autre chose. Les peintres du courant impressionniste (Claude Monet, Camille Pissarro, Edgar Degas, Pierre-Auguste Renoir, etc.) cherchent à saisir l’instant présent, c’est-à-dire une réalité fugace qui aura déjà changé une heure plus tard. »(1)
Claude Monet. La rue Montorgueil (1878).
Le Douanier Rousseau, Monstres verts, ses paysages sont exotiques et n’expriment pas une réalité perçue.
Les pointillistes avec Seurat,
Van Gogh, Nuit étoilée, la touche de peinture devient paysage en suivant le relief des éléments.
Paul Cézanne, La montagne Sainte Victoire, les peintres au XIXème siècle sortent de leur atelier pour peindre le paysage tel qu’ils le voient ou le ressentent. “Tout dans la nature se modèle sur la sphère, le cône et le cylindre, il faut apprendre à peindre sur ces figures simples, on pourra ensuite faire tout ce qu’on voudra.” a dit Cézanne
Le XXème siècle
Le fauvisme avec Franz Marc propose une transfiguration du paysage par la couleur.
L’expressionnisme:
Il y aura également les peintres expressionnistes comme Munch qui exalteront les expressions dans les paysages et les interprétations naïves du Douanier Rousseau.
Munch, Le cri,
Le cubisme : avec Braque et Picasso
Le cubisme modifie radicalement la représentation des paysages : ils sont représentés avec une fragmentations et des zones sombres pour figurer le volume.
Georges Braque. Maisons à l’Estaque (1908).
Le surréalisme avec Dali, Salvador Dali. Persistance de la mémoire (1931)
Le réalisme américain : Hopper
Edward Hopper. Essence (1940) Huile sur toile, 102,2 × 66,7 cm, Museum of Modern Art, New York. Lumière et saturation des couleurs caractérisent ses scènes souvent désertiques traduisant une ambiance de solitude et de vide existentiel.
« Après 1945, les artistes privilégient une peinture totalement subjective qui est la projection de leurs émotions, de leur subconscient, voire de leur intellect. »(1)
David Hockney, Garrowby Hill (1998) Huile sur toile, 152,3 × 193 cm, Museum of Fine Arts, Boston.
L’art contemporain et le paysage :
Les artistes qui interviennent dans le paysage :
Le Land art utilise la nature et les éléments naturels pour la confection de leurs oeuvres.
Andy Goldsworthy

Christo intervient directement dans la nature : le Pont Neuf de Paris emballé.
Les paysages brodés d’Ana Teresa Barboza, le paysage sort du cadre.
Pierre Malphettes, Un arbre en bois sous un soleil électrique, 2005-2007, Collection IAC, Rhône-Alpes © Blaise Adilon. Une installation qui propose un pâle avenir pour la nature dépouillée où rien ne pousse sur un sol qu’on dirait de plastique.
Alper Dostal de son côté imagine une exposition où les tableaux des grands maîtres auraient fondu faute de climatisation. Il donne un nouvel aspect à ces peintures. Les tableaux sortent du cadre et dégoulinent sur le sol.
Les aborigènes d’Australie :
Pour les Aborigènes, la terre est couverte d’un système de signes, telles les empreintes que pistent les chasseurs qui se déplacent non pas dans un paysage, mais dans un domaine saturé de significations.
« La majeure partie des créations aborigènes s’intéresse au paysage; certaines peintures et certains motifs représentent avec force détails la topographie de lieux précis. »(3)
(2) Lucquet, Le développement du dessin chez l’enfant
(3) http://agoras.typepad.fr/regard_eloigne/2008/06/emreinte-et-reseau-la-pensee-aborigene2.html
Autres thématiques ici :
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