Le rôle du plaisir dans une séquence d’arts plastiques, Gabi Jimenez, 3ème

Le désir et l’envie comme sources d’une séquence d’arts plastiques: (nouvelle mouture)

En introduction à mon article, je tiens à remercier vivement Gabi Jimenez, artiste peintre qui a passé du temps à nous donner les éléments pour enrichir cette page.

Pourquoi serait-il interdit de partir du désir pour monter une séquence ? Si l’enseignant est motivé par son désir, les cours ne seront-ils pas plus attrayants ? Partir d’une rêverie, d’une fable, d’une oeuvre choisie, d’un conte, d’un engagement auquel on tient, d’une cause ou d’une notion que l’on affectionne particulièrement, d’une image qui a retenu notre attention, n’est-ce pas là un joyeux ou sérieux dispositif ?

Je me souviens d’avoir été, durant ma maîtrise à Paris I, sensible au sujet d’un de mes camarades Thomas Poitrey : « Le poids de l’odeur ». M’est venue alors en 98 l’envie de travailler sur la légèreté avec mes élèves. Et grâce à cette envie, moteur de mon dispositif, les séquences ont été plus « légères » que d’habitude !

Plan de la page:

envie

 

L’engagement des artistes: un plaisir personnel: Une rencontre avec Gabi Jimenez

Je cherche souvent des artistes engagés parce que je suis sensible à l’implication sociale dans les arts plastiques. J’ai découvert Francis Moreeuw il y déjà quelques années avec son oeuvre « La guerre est un jeu d’enfants » et depuis il ne cesse de travailler avec les élèves du collège. Mon plaisir est décuplé quand je saisis une cause, un parti pris dans l’oeuvre que je découvre. Le plaisir est une notion subjective. Il est vrai que le chemin est plus facile avec des entrées plus esthétiques.

Je viens de découvrir un artiste qui m’a émue profondément. Il s’agit de Gabi Jimenez. Son engagement pour la communauté Tsigane et les Gens du Voyage, son graphisme riche et anguleux, son trait incisif et truculent ont retenu mon attention.  J’ai décidé de le contacter pour enrichir mon dispositif. Il a accepté de nous répondre et je sais que les élèves seront sensibles à l’intérêt qu’il leur porte. Le plaisir est aussi là, de créer des liens avec des artistes et les élèves.

Je ne sais pas où cette rencontre avec Gabi Jimenez va me mener mais il est sûr que je l’exploiterai en Histoire des Arts.

Mais comment transposer ses oeuvres en du « savoir enseignable » et pour quel niveau ? Quelle « cause » pourrait motiver mes élèves au regard de leur environnement ?

 

Le plaisir des élèves:

J’ai remarqué, dans le cadre de l’enseignement de l’Histoire des Arts avec comme thème la relation de l’art au pouvoir « dénoncer ou servir », que les élèves étaient particulièrement curieux et très intéressés par les oeuvres engagées. Le plaisir n’est pas à associer obligatoirement à la notion de réjouissance. La curiosité est source de plaisir, la rencontre avec une oeuvre qui parle, qui leur parle aussi.

Le plaisir de rencontrer des oeuvres atypiques:

juillet 2010 l'apocalypse selon st nicolas tryptique

Je regarde cette toile: « Juin 2010, Apocalypse selon Saint Nicolas ».

Première approche de l’oeuvre, la commenter, saisir ses enjeux :

« Vous qui voyez des caravanes, des détritus, des délinquants, des nomades, des indigents, des problèmes, des vols en perspective, des gitans, des parasites de la société, des enfants sales, moi j’y vois la vie, la famille, le bonheur, la joie de vivre, la rage d’exister, la force de continuer, le soleil dans les yeux des enfants.»

« La mémoire s’estompe. Pour ne pas oublier une partie de l’histoire de l’humanité, pour que nos enfants n’oublient-pas que certains d’entre-nous ont été déportés, internés, concentrés comme des animaux, que beaucoups sont morts, la faim au ventre, le corps meurtri par la maltraitance.
Et maintenant ? Cela a t-il changé ? » Gabi Jimenez

Que voit-on ?

Un personnage démantibulé, des gens du voyage, des policiers, de la répression

La prépondérance du dessin,

Le chaos

Une sensation d’étouffement

On y voit des caravanes et des gens parqués comme dans des camps

L’espace est saturé dans cette toile. Je pourrais demander aux élèves de troisième de réfléchir sur les notions de saturation de l’espace ? Je pourrais projeter des images de camp de concentration ?

Espace concentré, saturé, plein, regorgeant de couleurs, de traits, de formes, de matériaux, de contours ? Je pense à un sujet que j’ai déjà donné « c’est trop ! ».

Le paradoxe de la toile de Jimenez est de proposer un espace saturé pour des gens du voyage qui n’aspirent qu’à des étendue et à une liberté de circuler.

« C’est trop plein, je ne sais plus où aller ». Je pense à la toile de Francis Moreeuw sur les plages bondées de monde: « Usine à touristes », à « Guernica », à Erro, à Combas, à Haring …

usine-a-touristes

Partir d’un désir ou de l’envie n’est pas une voie facile. A ce stade de la réflexion sur mon dispositif, je ne sais plus trop où aller. Mais la force de la toile de Jimenez m’incite à creuser davantage mes pistes

Gabi Jimenez, vient de m’envoyer une autre toile en grande résolution « Liberté, Egalité, Fraternité /Mestipen, Barabaripen, Phralipen ». 2014 écrit en français et en romani

« Voila en retour le fichier de meilleure résolution.
Ce triptyque à été exposé à Strasbourg en mai 2014 dans le cadre de la présidence de l’Autriche et du comité des Ministre du Conseil de l’Europe.
Il est actuellement exposé à Graz (Autriche).
En octobre il sera à Paris.
 
Titre : Liberté, Egalité, Fraternité /Mestipen, Barabaripen, Phralipen. 2014.
Techniques mixte. Toile. 4,56m largeur x 2,05m hauteur. Gabi Jiménez.
 
Le titre est en français et en romani (langue des gitans). »
 
Mestipen Barabaripen Phralipen JPEG HD 40 cm-200PPP

Propos des élèves:

« Hello !
Le fichier est en MP3 et donc… sonore uniquement.
En MP4 j’aurais la vidéo !
Le son est impeccable !
Merci les élèves, Bérangère, et tous les autres !
J’aimerais bien être à la Réunion et avec ma caravane !
Bonne continuation !
Gabi »
P1090007

Analyse de l’oeuvre:

 Description de l’oeuvre:
Au premier abord, tout nous paraît confus et emmêlé. C’est après coup que nous remarquons que la toile est composée selon le drapeau français. C’est un triptyque. Les couleurs sont disposées dans les panneaux périphériques (gauche-droite) tandis que le volet central est en noir et blanc. La narration présente dans la toile n’est pas immédiatement accessible, il faut un certain temps pour identifier les formes et comprendre l’histoire présente dans le tableau. Autrefois, les polyptyques avaient des panneaux colorés au centre et des volets en grisaille à l’extérieur. Gabi Jimenez inverse la tradition. De même, le volet central qui jadis était dédié à la scène principale, chez Jimenez est placé à droite. En effet, c’est ce panneau que le spectateur décrypte plus facilement.
Dali a camouflé dans sa peinture, Nature morte vivante en 1956
dali 1956
Valery Koshlyakov a également réalisé une installation autour du thème du drapeau français: Et la France fût leur mot de passe: 2013. Installation: peintures, sculptures, matériaux de récupération. Drapeau. Tempera, marker et collage sur toile et sculptures. 279 x 450 cm
SONY DSC
Revenons à Gabi Jimenez … Dans le panneau de gauche on voit des caravanes entassées dans des zones grises et saturées avec un fil de fer barbelé qui entoure le camp. Au centre, composée comme une planche de bande-dessinée on voit des portraits de gitans encerclés par d’autres fils de fer barbelés. Ces vignettes font penser aux photos des déportés dans les camps durant la seconde guerre mondiale.
Un gitan, une case… un gitan parqué dans une case.
A droite, poursuivi par un policier armé avec une matraque à la main et un pistolet à la ceinture, un gitan haut en couleurs sort de la toile: il s’échappe. C’est beau, c’est fort, c’est puissant. La fraternité ne semble pas, selon le point de vue de l’artiste, être au goût du jour dans le pays de droits de l’homme.
Les notions plastiques à l’oeuvre dans le tableau de Gabi Jimenez:
– La composition
– Les contrastes
– La représentation
– La partition de l’espace
– La narration
– Les points de vue (mélangeant le point plongeant et la vue de face dans le volet gauche)
Le contexte de l’oeuvre:
« Oui. Cette œuvre fait référence aux expulsions manu militari des Roms et Gens du voyage, aux internements et concentrations, exterminations du peuple Tsigane. Elle oppose les principes de la république française et valeurs républicaines à la réalité quotidienne et le traitement particulier réservé aux minorités issues des communautés des Gens du Voyage et Tsigane. Et tout ceci, dans une indifférence générale des citoyens de France car la cause des « Gitans » ne fédère personne : personne n’aime les gitans. On dira d’eux que ce sont des parasites, des voleurs, des profiteurs, des délinquants… Ce qui explique les mesures qui sont régulièrement prises contres cette constituante de la société française… D’ou le drapeau/symbole de la république. » nous écrit Gabi Jimenez.
Il me faut trouver un dispositif où les élèves s’engageront dans une cause.
Le « gabisme »:
C’est un courant qu’a fondé Gabi Jimenez pour qualifier ses oeuvres.
« Nous les artistes gitans sommes cantonnés aux périphéries de la sphère artistique où règnent toujours les mêmes. Inventer un style, avoir la volonté de changer le monde de l’art, je rappelle que Picasso l’a fait avec le « cubisme », Monet avec « l’impressionnisme », ainsi que d’autres artistes avec leurs style en « ISME », » « ne pas montrer quelque chose tout en le montrant précisément. Ne pas dire les choses tout en les criant fortement. ». Le travail sur la couleur présente ou absente, la composition et le rôle du corps et des visages dans les peintures de Gabi Jimenez ont une dimension particulière: ils participent au sens du tableau.
Un mot de l’artiste:
« Impressionnant ! La qualité de l’analyse de l’œuvre me laisse pantois.
La démarche y est décrite, la volonté d’ouvrir à la liberté (à la fuite) sur la partie droite du triptyque,…
On pourra en reparler.
Amitiés à toutes et tous ! Et bonne reprise ! »
Gabi Jimenez

La biographie de l’artiste écrite par Gabi Jimenez :

Mon parcours artistique est assez chaotique.
Formation : Ecole Rue Madame-Paris 6ème, spécialisée en arts appliqués (à coté de l’école Boulle). J’ai passé le concours d’entrée et j’ai réussi. 3 ans plus tard, j’ai obtenu mon diplôme en arts appliqués.
 
Je suis né près de Paris, dans un bidonville.
 
Je suis issus de la communauté des Gens du voyage et suis « gitan », Gitano kalo pour être plus précis.
 
J’ai passé le plus clair de mon temps en caravane et autres habitats mobiles et suis en maison (en dur) depuis une vingtaine d’années.
Mon atelier se trouve en limite de la région parisienne, dans le Val d’Oise et à Marines, petit village en plein milieu du parc naturel régional du Vexin Français , limitrophe de l’Oise et de la Normandie.
J’expose assez souvent à Lyon, en partenariat avec des partenaires comme Artag (association régionale Gens du Voyage) et la Maison des Passages.
Je suis président d’une association départementale « ADVOG » (Val d’Oise 95) qui travaille auprès des communautés Tsiganes et Gens du voyage.
 
Je suis administrateur de la FNASAT- Fédération nationale des associations Tsiganes et Gens du voyage.
 
J’ai reçu cette année 2014 le prix des arts plastiques et peinture du Ministère de la Culture d’Espagne/Instituto de cultura Gitana.
 
En 2007, j’ai exposé 25 toiles à la Biennale Internationale d’Art Contemporain de Venise et depuis, suis en exposition pratiquement tous le temps dans des musées d’art contemporain, instituts, ministères, collectivités, etc.
La galerie qui me représente est à Berlin (les liens sont sur mon site ainsi que mes diverses expositions).
 
Le Flamenco fait partie de notre vie au quotidien.
Le flamenco est bien plus qu’une musique. C’est un quotidien maitrisé, une façon ésotérique de percevoir les choses et de donner des priorités là ou elle doivent être.
Les « payos » (les non gitans) ont souvent une approche différente de notre flamenco. Plus musical, moins reliée à la vie, moins de vécu, il sonne souvent creux selon nous. Souvent, pas de duende (Eric comprendra).
 
La peinture (l’art visuel en général) c’est pareil. Mon travail artistique est une émanation de mon quotidien, de mes espoirs, mes rages, la vie, le devenir. Il est aussi pétri d’ésotérisme qui est la marque de fabrique des gitans.
Régulièrement je passe d’un coté à l’autre. Réel, irréel, la frontière bouge selon les moments de chacun d’entre nous. Pour ceux qui savent lire entre les lignes, mes toiles sont composées « por buleria », « por solea », por siguiriya, …
« Le tableau « Liberté égalité fraternité » a été composé selon la structure de la Solea por buleria:
un deux trois -(quatre cinq six) – sept et huit – neuf dix – onze et douze. »
 
Plusieurs interprétations s’imposent donc (ça donnera du travail aux critiques d’art).
 
Je fais partie d’un courant artistique  : art engagé, art politique, art social, selon les critiques.
« La peinture n’est pas faite pour décorer les appartements. C’est un instrument de guerre, offensif et défensif contre l’ennemi ». Picasso
 
Enfin, l’Etat Français à acquis deux de mes toiles en 2012 (Cabinet du Premier Ministre) qui représentent les expulsons et le traitement arbitraire envers les Tsiganes et gens du Voyage.

Première piste pédagogique:

Toujours pour le niveau de 3ème : « Diantre, je suis cerné(e)! ».
Je pourrai avec une telle incitation projeter le travail de Kawamata et de Christo:
Kawamata:
Kawamata
Christo:
christo

Le déroulement de la séquence:

 
Temps 1: Exploration
« Diantre, je suis cerné(e)! » 15 minutes. Mettre en scène la proposition avec vos effets.
Prendre une photographie de l’installation.
Temps 2 : Références artistiques:
Projection de l’oeuvre de Gabi Jimenez, analyse de la structure de l’espace. Son engagement sera vu dans le cadre de l’histoire des arts. (voir page dédiée à Gabi Jimenez dans la page Histoire des Arts à venir).
Questions:
Quelle est la structure sous-jacente du tableau ?
Comment est construit l’espace du tableau ?
Quelle est la narration du tableau ? A quelle forme d’art fait-elle penser ?
Quels sont les contrastes présents dans le tableau ?
S’agit-il d’une histoire triste ou gaie ? Pourquoi ?
Relater le contexte historique de l’oeuvre une fois ces questions posées.
Temps 3: Réinvestissement:
« Rendre votre travail plus poétique »
Progression:
Nouvelle séquence: voir « de plus en plus étroit ».
Notions potentielles à travailler:
le point de vue,
la narration,
le cadrage,
la mise en scène,
le corps,
l’espace de l’oeuvre,
le mouvement,
la lumière, l’ombre
le contraste,
la représentation,
la figuration
le détail

Les apprentissages:

Les élèves apprendront à produire in situ

Ils découvriront des pratiques artistiques contemporaines liées aux nouvelles technologies en relation avec l’espace, l’installation.

 

Les compétences:

Réaliser une production artistique qui implique le corps

Produire du sens en disposant des objets, des matériaux dans un espace déterminé

Expérimenter de façon sensible l’espace des oeuvres

Connaître des termes spécifiques aux arts plastiques

Concevoir et conduire un projet

Faire preuve de curiosité et d’esprit critique envers l’art sous toutes ses formes.

Mettre en oeuvre les matériels et différents logiciels à des fins de création

 

Le plaisir: quels avantages ?

En partant de cette oeuvre qui m’a saisie, j’ai été amenée à construire une séquence qui élabore du sens. Les élèves vont s’interroger sur la question de l’expulsion, de la discrimination, la question de l’Autre. Ils conprendront que l’art peut s’inscrire dans l’engagement social. Ils comprendront qu’avec de simples objets, ils peuvent produire du sens. Tous ont été touchés un jour ou l’autre par l’expulsion par d’autres. Ils mettront en scène un peu de leur vécu dans cette proposition.

Quant à moi, c’est avec plus de force que je vais pouvoir appréhender la séquence qui en découle. Il me tarde déjà de l’expérimenter en classe. J’ai hâte de voir la réaction des élèves face aux toiles de Jimenez ainsi que leurs trouvailles face à mon dispositif.

On ne peut pas tout le temps concevoir des séquences avec le désir comme moteur de notre dispositif. Mais comme il est agréable de se dire « tiens ! aujourd’hui je vais mettre en scène quelque chose que j’aime bien ».

Je ne sais pas comment va évoluer mon dispositif et il y aura sûrement des ajustements. A bientôt donc pour la suite des évènements.

 Production des élèves:

Temps 1: « Diantre, je suis cerné(e)! »

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 Temps 3: Rendre le travail plus poétique

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 Nouvelle séquence à suivre:

« De plus en plus étroit » voir article.

5 commentaires

  1. culturieuse

    Votre travail avec les élèves, autant philosophique que plastique, est une magnifique illustration de ce que l’on peut faire pour ouvrir l’esprit de la jeunesse. Faire réaliser que l’on peut aller plus loin, dans la réflexion, plutôt que de s’en tenir à la première impression. Je suis admirative.

    1. artsplastiques

      Merci pour votre fidélité à mon blog et à vos commentaires. Votre travail est par ailleurs génial sur votre blog très riche et très documenté. Bravo !

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