Bonne année avec Le peseur d’or et sa femme de Quentin Metsys, 1514

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Artiste:Quentin Metsys (1466 – 1530)
Titre de l’œuvre :Le Peseur d’or et sa Femme dit aussi Le Changeur et sa femme ou Le Banquier et sa femme
Date de création : 1514
Dimension : 71 x68 cm
Technique / Support : huile sur bois
Genre : scène de genre : scène d’intérieur
Lieu de conservation : Paris, Musée du Louvre

La date et la signature se trouvent sur le rouleau de parchemin posé sur une étagère :  »Quinten Matsys
/ Schilder 1514

Il y a 500 ans, Quentin Metsys peignait Le Prêteur et sa femme. Cette huile sur panneau est conservée au Musée du Louvre, à Paris.

 Dans un espace peu profond, presque sans perspective, un homme et une femme comptent de l’argent. L’homme tient dans la main une petite balance tandis que la femme tourne une page de la Bible. Les deux personnages sont presque symétriques (mouvement de la tête) tandis que les mains vont dans le même sens et effectuent les mêmes gestes. Tous deux portent un bague en or à la main droite. L’illustration du livre montre une Vierge avec l’enfant Jésus.

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Différents objets en matériaux divers sont répartis dans l’espace de la pièce afin de prouver la virtuosité du peintre : le verre, le miroir, le cuivre, l’or, l’étain, la fourrure, les étoffes. Tout est rendu avec une grande minutie et un goût pour les détails. Les objets témoignent de l’opulence contrairement au décor sobre et minimaliste de la pièce sans ornements. Les vêtements montrent une aisance certaine avec les fourrures.

L’homme est éclairé par une source lumineuse provenant de la fenêtre à sa droite: en effet sa main gauche présente une ombre montrant d’où provient la lumière. Son visage montre une crispation traduisant sa « froideur calculatrice ». La femme, quant à elle, n’a pas d’ombre sur le visage comme si elle était éclairée par le livre: la Bible. Elle porte un vêtement rouge, couleur du coeur, de la Passion, tandis que l’homme est vêtu de vert: couleur de l’instabilité de l’âme à l’époque. Le rouge de la robe contraste avec le vert du tapis posé sur la table. Le vert est la couleur de l’inconnu comme le stipule wikipedia dans son article sur les Ambassadeurs de Hans Holbein. ici

Un miroir, qui servait à surveiller la pièce, est posé sur la table et Metsys a peint le reflet d’un beffroi apparaissant à travers une fenêtre  dont les deux vitres supérieures représentent deux croix quadrilobées, rouge et bleue. Un rouleau de papier, vers la main droite du prêteur, sert d’étui à quatre bagues serties de pierres précieuses. Un petit étui en velours avec des perles brutes disposées sur lui montrent qu’elles ont été échangées.

Même les pièces sont identifiables. « Devant l’homme se trouve un monceau de pièces de pays et d’époques divers. On peut identifier, grâce à la perfection réaliste du rendu des pièces par le peintre, l’avers d’un écu d’or du Royaume de France, reconnaissable au bouclier, ou « écu », encadrant trois fleurs de lys et surmonté d’une couronne(sur le tas de pièces à gauche, au-dessous de la bague du prêteur), et celui d’une augustale deFrédéric II, empereur du Saint-Empire romain germanique au xiiie siècle (à droite du tas, entre le plateau du trébuchet et le godet posé derrière celui-ci sur la table). » wikipédia. La valeur des pièces étaient déterminées par leur poids en métaux. Une petite balance de changeur portative à fléau, aussi appelée trébuchet est l’instrument de travail du prêteur. D’où l’expression en « espèces sonnantes et trébuchantes ».

C’est une scène de genre évoquant les scènes de la vie quotidienne.

Le sacré et le profane sont présents à l’intérieur du tableau comme pour rappeler que l’avarice est un péché capital. Le regard est attiré par le tas de pièces d’or occupant une bonne partie de la surface du tableau. Une bougie éteinte, symbole de la mort imminente, un vase symbolisant l’Immaculée Conception, un trébuchet pouvant rappeler le Jugement Dernier sont répartis comme une nature morte dans l’arrière plan des personnages. On peut aussi voir une pomme sur l’étagère supérieure évoquant le Péché originel d’Adam et Eve. Sur le cadre du tableau était gravées une citation biblique « Statura justa et aequa sint pondere (« Que la balance soit juste et les poids égaux ».

Dans le coin supérieur droit, on aperçoit un personnage mettant en garde un second comme pour le dissuader de pénétrer dans la pièce. En revanche, dans les reflets du miroir, on peut voir un personnage coiffé d’un turban rouge adossé à la fenêtre. Le client est-il peint à cet endroit ou serait-ce le portrait du peintre lui-même car on sait que ceux-ci portaient des turbans rouges comme le montre la peinture de Van Eyck, l’homme au turban rouge ?

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Il y a sept personnages dans la scène: 5 réels et 2 représentés. Ils sont représentés par couple, par deux. Quel est le personnage qui accompagnerait logiquement le personnage figurant dans le miroir si ce n’est l’observateur lui-même ? Mestys reprend une composition célèbre  de Van Eyck, La Chambre des Epoux Arnolfini.

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Le miroir serait le symbole de la conscience du client et du prêteur hésitant entre « avoir » ou « être », entre « partager » et « posséder ». La croix formée par les montants de la fenêtre évoquent le Jugement Dernier.

Le tableau serait construit selon une figure géométrique: la spirale de Fibonacci, selon l’article paru dans Palette Museum Magazine.

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On peut se demander si Metsys n’interroge pas le spectateur sur la valeur marchande incommensurable, la spirale en serait l’expression, du tableau compte-tenu de la richesse de ses détails, de la minutie extrême pour exprimer les différents matériaux, de sa valeur symbolique avec toutes les significations contenues en lui ?

Comment ne pas songer à la « vanité » de Damien Hirst, For the love of god, sertie de 8601 diamants, 2007, l’oeuvre la plus chère produite à Londres ? Soit en tout 1106,18 carats. Cette œuvre a coûté près de 20 millions de dollars à l’artiste anglais qui seul l’a financée.

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« «Le prêteur et sa femme» qui se trouve au Musée du Louvre, est une composition mettant en scène un passage de l’Évangile selon Saint Matthieu (VI, 24)  : «Nul ne peut servir deux maîtres».Cela veut dire que l’humain est confronté au choix de ce qu’il décide de vivre, faire l’expérience de l’Être en orientant sa conscience sur le coeur, ou faire l’expérience de l’Avoir en orientant sa conscience sur l’ego soumis au jeu de la dualité. Mais il n’est pas possible de suivre les deux chemins qui partent dans deux directions opposées. Toute l’oeuvre de cette peinture de Metsys est construite en ce sens. « 

Si on regarde de près la composition du tableau sous l’angle que rien n’est placé par hasard, une multitude de questions se posent :

– pourquoi la femme est-elle habillée en rouge et l’homme en vert ?
– pourquoi un miroir est-il placé au premier plan et tourné vers la fenêtre à gauche ?
– pourquoi avoir placé un homme dans le miroir regardant vers cette fenêtre ?
– pourquoi avoir placé la croix de la fenêtre dans la direction où elle se trouve ?
– pourquoi ouvrir le livre saint à une page montrant Marie et l’Enfant Jésus plaçant sa main droite sur le coeur de sa Mère ?
– pourquoi avoir placé une lettrine sur la page opposée avec un agneau ?
– pourquoi la femme croise-t-elle les mains en ouvrant le livre ?
– pourquoi le visage de l’homme de face présente le jeu de lumière et d’ombre portée alors que la femme également de face ne présente pas d’ombre portée ?
– pourquoi le point de fuite est-il à l’extérieur du tableau en haut à gauche dans la l’alignement du livre saint et de l’assiette sur l’étagère ?
– pourquoi avoir placé une pomme à l’endroit où elle se trouve précisément devant l’assiette sur la première étagère ? » François Rouillay

http://www.palettemuseum.com/?p=1045

Avec une grande maîtrise, Quentin Metsys propulse la peinture au statut de « grand art » avec ses lectures et interprétations symboliques de l’oeuvre. On peut regarder cette peinture soit comme une scène de la vie quotidienne soit comme l’illustration d’un passage de la Bible avec un ton moralisateur.

Ainsi on peut se demander pourquoi la femme croise les bras tandis que son époux pèse les pièces? Serait-ce un geste d’une superstitieuse faisant le signe de croix comme pour demander une sorte de pardon religieux ? A-t-elle une bonne conscience ou au contraire ce geste ne traduirait-il pas son sentiment de culpabilité ? La Bible ne condamne-t-elle fermement le prêt à intérêt ? Cet interdit est exprimé dans l’Ancien Testament. L’usure a été autorisé chez les chrétiens seulement à partir du XIIIème siècle.

La femme dont on perçoit la direction du regard et les pupilles serait peut-être la seule à avoir une conscience dans le tableau. En effet, les paupières du mari « prêteur » sont baissées. La peinture ici est la seule à dévoiler la totalité de la scène, y compris ce qui se passe en hors-champ avec le miroir. La peinture incarnerait une sorte de vision totale y compris sur les sentiments, une fenêtre sur le coeur et l’esprit avec son pouvoir symbolique.

Tout est mesure, lenteur et harmonie. L’homme est concentré sur sa tâche, d’un geste expert et quasi ritualisé, il pèse. Tout est au service de l’apesanteur et de la légèreté. La femme retient son souffle pour ne pas perturber la pesée. La mesure avec le trébuchet demande une grande concentration.Tout semble comme suspendu à un fil, comme le chapelet suspendu à un clou et le livre prêt à tomber de l’étagère. Il règne dans cette peinture comme un sentiment fugace d’éternité: celui du temps de la mesure, celui de la pesée.

Tandis que les pièces d’or et d’argent font référence à la richesse et à
l’opulence, le trébuchet donne un avertissement. Il est en effet symbole de mesure, de justice, de droit. Il prévient du risque de perdre son âme dans la manipulation des richesses matérielles. Metsys oppose ici la vanité des biens terrestres à la richesse spirituelle. Il oppose le monde appréhendable par la vue et celui accessible uniquement par la foi. Ainsi la femme nous apparaît-elle comme plus animée par la foi que son mari grâce à la présence de la Bible et de la Vierge à l’Enfant. On remarque aussi le rôle de l’ombre portée du miroir faisant le lien avec la BIble que lit la femme du prêteur.

Il est intéressant de remarquer le jeu de l’ouvert (extérieur) et du fermé (intétrieur) à l’oeuvre dans le tableau. La femme tient un livre ouvert tandis que derrière elle repose sur l’étagère un livre fermé. Une boîte est ouverte du côté du prêteur tandis que sur l’étagère est déposée une boîte fermée. La peinture ne serait-elle pas par excellence l’art de l’ouverture vers l’extérieur capable de nous montrer ce qui se tient entre ses pages fermées dans l’espace du miroir ouvrant sur le dehors ?

L’art contemporain nous offre une nouvelle lecture du tableau de Mestys. Fanny Viollet en est un exemple: Le peseur d’Or

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  • © Fanny Viollet / ADAGP – Tous droits réservés
  • Hans Holbein peindra plus tard les Ambassadeurs présentant une structure de composition similaire à celle du Prêteur et sa femme. 
  • objets montrant l’opulence
  • minutie des détails
  • une croix pour mettre en garde le spectateur, un crucifix dans le tableau de Holbein situé dans les plis du rideau occultant la pièce, à gauche du tableauPicture1

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Bonne année avec Le peseur d’or et sa femme de Quentin Metsys, 1514

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Artiste:Quentin Metsys (1466 – 1530)
Titre de l’œuvre :Le Peseur d’or et sa Femme dit aussi Le Changeur et sa femme ou Le Banquier et sa femme
Date de création : 1514
Dimension : 71 x68 cm
Technique / Support : huile sur bois
Genre : scène de genre : scène d’intérieur
Lieu de conservation : Paris, Musée du Louvre

La date et la signature se trouvent sur le rouleau de parchemin posé sur une étagère :  »Quinten Matsys
/ Schilder 1514

Il y a 500 ans, Quentin Metsys peignait Le Prêteur et sa femme. Cette huile sur panneau est conservée au Musée du Louvre, à Paris.

 Dans un espace peu profond, presque sans perspective, un homme et une femme comptent de l’argent. L’homme tient dans la main une petite balance tandis que la femme tourne une page de la Bible. Les deux personnages sont presque symétriques (mouvement de la tête) tandis que les mains vont dans le même sens et effectuent les mêmes gestes. Tous deux portent un bague en or à la main droite. L’illustration du livre montre une Vierge avec l’enfant Jésus.

2014-01-01 09.23.54

Différents objets en matériaux divers sont répartis dans l’espace de la pièce afin de prouver la virtuosité du peintre : le verre, le miroir, le cuivre, l’or, l’étain, la fourrure, les étoffes. Tout est rendu avec une grande minutie et un goût pour les détails. Les objets témoignent de l’opulence contrairement au décor sobre et minimaliste de la pièce sans ornements. Les vêtements montrent une aisance certaine avec les fourrures.

L’homme est éclairé par une source lumineuse provenant de la fenêtre à sa droite: en effet sa main gauche présente une ombre montrant d’où provient la lumière. Son visage montre une crispation traduisant sa « froideur calculatrice ». La femme, quant à elle, n’a pas d’ombre sur le visage comme si elle était éclairée par le livre: la Bible. Elle porte un vêtement rouge, couleur du coeur, de la Passion, tandis que l’homme est vêtu de vert: couleur de l’instabilité de l’âme à l’époque. Le rouge de la robe contraste avec le vert du tapis posé sur la table. Le vert est la couleur de l’inconnu comme le stipule wikipedia dans son article sur les Ambassadeurs de Hans Holbein. ici

Un miroir, qui servait à surveiller la pièce, est posé sur la table et Metsys a peint le reflet d’un beffroi apparaissant à travers une fenêtre  dont les deux vitres supérieures représentent deux croix quadrilobées, rouge et bleue. Un rouleau de papier, vers la main droite du prêteur, sert d’étui à quatre bagues serties de pierres précieuses. Un petit étui en velours avec des perles brutes disposées sur lui montrent qu’elles ont été échangées.

Même les pièces sont identifiables. « Devant l’homme se trouve un monceau de pièces de pays et d’époques divers. On peut identifier, grâce à la perfection réaliste du rendu des pièces par le peintre, l’avers d’un écu d’or du Royaume de France, reconnaissable au bouclier, ou « écu », encadrant trois fleurs de lys et surmonté d’une couronne(sur le tas de pièces à gauche, au-dessous de la bague du prêteur), et celui d’une augustale deFrédéric II, empereur du Saint-Empire romain germanique au xiiie siècle (à droite du tas, entre le plateau du trébuchet et le godet posé derrière celui-ci sur la table). » wikipédia. La valeur des pièces étaient déterminées par leur poids en métaux. Une petite balance de changeur portative à fléau, aussi appelée trébuchet est l’instrument de travail du prêteur. D’où l’expression en « espèces sonnantes et trébuchantes ».

C’est une scène de genre évoquant les scènes de la vie quotidienne.

Le sacré et le profane sont présents à l’intérieur du tableau comme pour rappeler que l’avarice est un péché capital. Le regard est attiré par le tas de pièces d’or occupant une bonne partie de la surface du tableau. Une bougie éteinte, symbole de la mort imminente, un vase symbolisant l’Immaculée Conception, un trébuchet pouvant rappeler le Jugement Dernier sont répartis comme une nature morte dans l’arrière plan des personnages. On peut aussi voir une pomme sur l’étagère supérieure évoquant le Péché originel d’Adam et Eve. Sur le cadre du tableau était gravées une citation biblique « Statura justa et aequa sint pondere (« Que la balance soit juste et les poids égaux ».

Dans le coin supérieur droit, on aperçoit un personnage mettant en garde un second comme pour le dissuader de pénétrer dans la pièce. En revanche, dans les reflets du miroir, on peut voir un personnage coiffé d’un turban rouge adossé à la fenêtre. Le client est-il peint à cet endroit ou serait-ce le portrait du peintre lui-même car on sait que ceux-ci portaient des turbans rouges comme le montre la peinture de Van Eyck, l’homme au turban rouge ?

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Il y a sept personnages dans la scène: 5 réels et 2 représentés. Ils sont représentés par couple, par deux. Quel est le personnage qui accompagnerait logiquement le personnage figurant dans le miroir si ce n’est l’observateur lui-même ? Mestys reprend une composition célèbre  de Van Eyck, La Chambre des Epoux Arnolfini.

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Le miroir serait le symbole de la conscience du client et du prêteur hésitant entre « avoir » ou « être », entre « partager » et « posséder ». La croix formée par les montants de la fenêtre évoquent le Jugement Dernier.

Le tableau serait construit selon une figure géométrique: la spirale de Fibonacci, selon l’article paru dans Palette Museum Magazine.

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On peut se demander si Metsys n’interroge pas le spectateur sur la valeur marchande incommensurable, la spirale en serait l’expression, du tableau compte-tenu de la richesse de ses détails, de la minutie extrême pour exprimer les différents matériaux, de sa valeur symbolique avec toutes les significations contenues en lui ?

Comment ne pas songer à la « vanité » de Damien Hirst, For the love of god, sertie de 8601 diamants, 2007, l’oeuvre la plus chère produite à Londres ? Soit en tout 1106,18 carats. Cette œuvre a coûté près de 20 millions de dollars à l’artiste anglais qui seul l’a financée.

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« «Le prêteur et sa femme» qui se trouve au Musée du Louvre, est une composition mettant en scène un passage de l’Évangile selon Saint Matthieu (VI, 24)  : «Nul ne peut servir deux maîtres».Cela veut dire que l’humain est confronté au choix de ce qu’il décide de vivre, faire l’expérience de l’Être en orientant sa conscience sur le coeur, ou faire l’expérience de l’Avoir en orientant sa conscience sur l’ego soumis au jeu de la dualité. Mais il n’est pas possible de suivre les deux chemins qui partent dans deux directions opposées. Toute l’oeuvre de cette peinture de Metsys est construite en ce sens. « 

Si on regarde de près la composition du tableau sous l’angle que rien n’est placé par hasard, une multitude de questions se posent :

– pourquoi la femme est-elle habillée en rouge et l’homme en vert ?
– pourquoi un miroir est-il placé au premier plan et tourné vers la fenêtre à gauche ?
– pourquoi avoir placé un homme dans le miroir regardant vers cette fenêtre ?
– pourquoi avoir placé la croix de la fenêtre dans la direction où elle se trouve ?
– pourquoi ouvrir le livre saint à une page montrant Marie et l’Enfant Jésus plaçant sa main droite sur le coeur de sa Mère ?
– pourquoi avoir placé une lettrine sur la page opposée avec un agneau ?
– pourquoi la femme croise-t-elle les mains en ouvrant le livre ?
– pourquoi le visage de l’homme de face présente le jeu de lumière et d’ombre portée alors que la femme également de face ne présente pas d’ombre portée ?
– pourquoi le point de fuite est-il à l’extérieur du tableau en haut à gauche dans la l’alignement du livre saint et de l’assiette sur l’étagère ?
– pourquoi avoir placé une pomme à l’endroit où elle se trouve précisément devant l’assiette sur la première étagère ? » François Rouillay

http://www.palettemuseum.com/?p=1045

Avec une grande maîtrise, Quentin Metsys propulse la peinture au statut de « grand art » avec ses lectures et interprétations symboliques de l’oeuvre. On peut regarder cette peinture soit comme une scène de la vie quotidienne soit comme l’illustration d’un passage de la Bible avec un ton moralisateur.

Ainsi on peut se demander pourquoi la femme croise les bras tandis que son époux pèse les pièces? Serait-ce un geste d’une superstitieuse faisant le signe de croix comme pour demander une sorte de pardon religieux ? A-t-elle une bonne conscience ou au contraire ce geste ne traduirait-il pas son sentiment de culpabilité ? La Bible ne condamne-t-elle fermement le prêt à intérêt ? Cet interdit est exprimé dans l’Ancien Testament. L’usure a été autorisé chez les chrétiens seulement à partir du XIIIème siècle.

La femme dont on perçoit la direction du regard et les pupilles serait peut-être la seule à avoir une conscience dans le tableau. En effet, les paupières du mari « prêteur » sont baissées. La peinture ici est la seule à dévoiler la totalité de la scène, y compris ce qui se passe en hors-champ avec le miroir. La peinture incarnerait une sorte de vision totale y compris sur les sentiments, une fenêtre sur le coeur et l’esprit avec son pouvoir symbolique.

Tout est mesure, lenteur et harmonie. L’homme est concentré sur sa tâche, d’un geste expert et quasi ritualisé, il pèse. Tout est au service de l’apesanteur et de la légèreté. La femme retient son souffle pour ne pas perturber la pesée. La mesure avec le trébuchet demande une grande concentration.Tout semble comme suspendu à un fil, comme le chapelet suspendu à un clou et le livre prêt à tomber de l’étagère. Il règne dans cette peinture comme un sentiment fugace d’éternité: celui du temps de la mesure, celui de la pesée.

Tandis que les pièces d’or et d’argent font référence à la richesse et à
l’opulence, le trébuchet donne un avertissement. Il est en effet symbole de mesure, de justice, de droit. Il prévient du risque de perdre son âme dans la manipulation des richesses matérielles. Metsys oppose ici la vanité des biens terrestres à la richesse spirituelle. Il oppose le monde appréhendable par la vue et celui accessible uniquement par la foi. Ainsi la femme nous apparaît-elle comme plus animée par la foi que son mari grâce à la présence de la Bible et de la Vierge à l’Enfant. On remarque aussi le rôle de l’ombre portée du miroir faisant le lien avec la BIble que lit la femme du prêteur.

Il est intéressant de remarquer le jeu de l’ouvert (extérieur) et du fermé (intétrieur) à l’oeuvre dans le tableau. La femme tient un livre ouvert tandis que derrière elle repose sur l’étagère un livre fermé. Une boîte est ouverte du côté du prêteur tandis que sur l’étagère est déposée une boîte fermée. La peinture ne serait-elle pas par excellence l’art de l’ouverture vers l’extérieur capable de nous montrer ce qui se tient entre ses pages fermées dans l’espace du miroir ouvrant sur le dehors ?

L’art contemporain nous offre une nouvelle lecture du tableau de Mestys. Fanny Viollet en est un exemple: Le peseur d’Or

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  • © Fanny Viollet / ADAGP – Tous droits réservés
  • Hans Holbein peindra plus tard les Ambassadeurs présentant une structure de composition similaire à celle du Prêteur et sa femme. 
  • objets montrant l’opulence
  • minutie des détails
  • une croix pour mettre en garde le spectateur, un crucifix dans le tableau de Holbein situé dans les plis du rideau occultant la pièce, à gauche du tableauPicture1

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