Les figures du copieur

La copie est un sujet sensible pour le prof d’arts plastiques. Comment l’aborder et comment l’évaluer ? De nombreux élèves se livrent à la copie en arts plastiques et il n’est pas rare de voir des rangées de tables avec des productions similaires. On peut se demander alors si la copie est un exercice vain pour l’élève et quels sont ses enjeux ? Les élèves apprennent-ils en copiant et comment ? Sont-ils tout simplement passifs ou alors sont-ils inscrits dans une dynamique de travail et une réflexion ?Quelles-sont les motivations d’un élève qui copie ? Pour tenter de répondre à ces questions, j’ai interrogé environ une trentaine d’élèves de 5ème et de 6ème dans mes classes. Les mêmes questions ont été posées à différents groupes avec leurs productions comme support visuel. Il en ressort que la copie est ambivalente : un même élève la voit à la fois comme un bon principe et comme étant condamnable. Puis, en analysant les réponses, il apparaît que le même mot ne revêt pas les mêmes enjeux pour les élèves. Certes, la peur de rendre copie blanche peut encourager à la copie mais aussi la jubilation d’apprendre des gestes et des procédures. La copie est donc à priori inclassable et polymorphe. Les enjeux ne sont pas les mêmes pour celui qui veut éviter d’avoir une mauvaise note et pour celui qui utilise la copie comme moyen pour parvenir à une production unique.

  1. La copie comme figure de la falsification :

Qu’est ce que la copie ? « On peut recopier de l’écrit, des dessins, des sculptures. »

Qui pense que la copie est une bonne chose ? « Cela dépend de la copie. Si elle est faite pour remplacer l’original ce n’est pas bon. Si on veut la revendre en tant qu’unique ce n’est pas bien. On peut recopier un tableau très cher pour le plaisir de l’avoir chez soi. Une mauvaise copie c’est quand on la fait passer pour unique. »

Les élèves sont sensibles à cette notion d’original et d’unicité. On peut se demander comment avec un si jeune âge, les élèves ont déjà acquis des valeurs aussi tranchées et précises. Cette idée que l’original est supérieur à la copie n’est-elle pas véhiculée par le monde des adultes et le culte de l’égo ? Certains élèves semblent dépassés par cette supériorité de l’original et ne voient pas la différence entre la copie et son modèle. Pour eux, ils ont « refait » le travail. On pourrait mener une étude sur les différents milieux (école, famille, environnement) pour comprendre comment cette idée est si précieuse pour certains et subalterne pour d’autres. Mais qui est dans le vrai ?

Pourquoi on veut faire des choses uniques en arts plastiques ? Pour dire que c’est toi qui l’as fait. La copie est moins intéressante que l’original.

Cette idée de compétition « c’est moi qui ai trouvé le premier » est aussi à mettre en perspective. Si on veut évaluer par compétences nos élèves, en éliminant tout esprit de compétition, peut-être serait-il opportun de relativiser le culte du héros, de celui qui a su voir, faire avant tous les autres. Le temps et sa décantation fait partie des apprentissages.

2. La copie comme figure du plaisir :

La copie est un acte jubilatoire : en effet quand on a réussi à reproduire un modèle on ressent du plaisir et de la satisfaction. Pour exemple : les élèves n’ont pas tous les mêmes gestes et aptitudes motrices ou graphiques. Proposer de recopier un geste plutôt qu’une forme peut être très formateur et engendrer beaucoup de plaisir aux élèves. N’avons-nous pas dans nos classes des files d’élèves très fiers de leurs copies de manga ou de personnages de bande dessinée  ou de dessin animé ?

Aimez-vous copier en arts plastiques ? La majorité des élèves s’exclament « oui ». 8/10

Pourquoi vous aimez faire de la copie en arts plastiques ? Parce que c’est plus amusant que recopier un texte. C’est ludique.

3. La copie comme figure de manque de personnalité :

Les élèves sont partagés : copier témoignerait d’un manque de personnalité mais en même temps serait un plaisir.

Que penses-tu de la copie ? On n’a pas de personnalité.

As-tu déjà copié des images, des dessins ? J’adore ça.

4. La copie et les apprentissages :

Apprend-on en copiant ? 13/13 répondent que oui.

5. La copie somme figure de la triche :

Vous vous rendez compte que votre voisin/e a copié. Trouvez-vous cela bien ? NON. 13/13

Vous trouvez que c’est de la triche ? Avis partagés. En copiant, ça donne des idées. On regarde plusieurs cahiers et on prend le meilleur. C’est bon de copier mais il faut de l’imagination.

Le tricheur est celui qui copie sans s’approprier l’original. Les élèves sont attachés à cette plus-value dans la copie.

6. La copie comme observation en acte :

Penses-tu que le travail de ton voisin répond bien à la consigne ? Pourquoi ? Je l’ai bien regardé, oui il répond à la consigne.

Et si ta voisine ne répond pas à la consigne, tu vas la copier quand même ? Non

Le copieur donc est capable de mesurer la pertinence d’un original. Il n’est pas totalement passif devant la production qu’il imite.

7. La copie comme moyen d’échapper au moche :

Cette question est importante : beaucoup d’élèves qui n’ont pas une bonne perception d’eux-mêmes et qui ont tendance à se dévaloriser utilisent la copie pour ne pas avoir à montrer quelque chose qui leur est propre. Ils se cachent derrière la copie pour ne pas affronter le jugement du professeur et d’autrui. Mais, ils éprouvent du plaisir à la faire ! Cette ambivalence des sentiments est signifiante. Une mauvaise note les confortera dans cette mauvaise image d’eux mêmes et cela même s’ils copient.

Pourquoi as-tu préféré refaire le travail de ton voisin plutôt que faire toi-même une proposition ? Je n’aime pas le mien, parce que c’est moche ce que j’ai fait. Parce que j’aime bien m’appuyer sur son expérience.

As-tu pris du plaisir en faisant ton travail ? Ben oui ! Le plaisir de dessiner

Quel-est celui que tu préfères entre le travail de ton voisin et le tien ? Pourquoi ? Je préfère celui de ma voisine car le mien est moche.

8. La copie comme motivation extrinséque : (voir mon article sur la motivation ici)

Tu travailles pour avoir une bonne note ou pour le plaisir ? Pour avoir une bonne note.

As-tu peur de ne pas réussir ? J’ai peur de rater mon devoir

9. La copie comme figure du consentement :

L’autorisation demandée de copier justifierait alors la qualité de la copie. Une copie non autorisée serait de l’ordre de l’infraction entre élèves. Mais souvent là aussi, les réactions des « copiés » est ambivalente : contrariété de ne plus être unique mais en même temps content de cet acte de reconnaissance. Etre copié valide les compétences dans la mentalité des élèves.

Quelle-est ta réaction quand on te copie ? Là c’est un dessin, ça ne m’énerve pas mais si c’est un contrôle ça m’énerve. La personne peut être contente car on la copie cela veut dire que c’est bien. Et on doit demander la permission.

C’est un sujet qui peut permettre d’éduquer les élèves au consentement. Leur apprendre à renoncer à quelque chose quand le ou la camarade dit « non ».

11. La copie comme figure de l’inspiration: la motivation intrinsèque:

Certains élèves ont compris le pouvoir extraordinaire de la copie comme moyen et levier de parvenir à l’unique. Ils piochent ici et là des formes, des procédés et procédures pour ensuite les retravailler à leur manière. C’est bien le signe d’une motivation intrinsèque chez l’élève : ils prend du plaisir à faire ces gestes et ne subit aucune pression ou angoisse extérieure à lui.

C’est quoi l’inspiration ? Comme les grands dessinateurs. Ils font des choses et à un moment donné ils s’inspirent

D’où elle vient l’inspiration ? Pour moi j’ai regardé sur internet des modèles et j’ai pris des choses ici et là pour après assembler à ma manière. On peut demander à quelqu’un des conseils.

12. La copie comme figure du sens :

Un petit film qui en dit long …. Que pensez-vous de ses motivations ?

 

 

Un commentaire

  1. Chiabrero

    En même temps, les biographies des grands artistes nous apprennent qu’ils ont passé de nombreuses années à copier les grandes œuvres dans les musées…

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