L’incarnat dans l’art
Qu’il est difficile de rendre l’aspect de la peau humaine en peinture ! Quelles couleurs faut-il utiliser pour atteindre un soupçon de vérité ? A cause de ce problème, nombreux de nos portraits sont ratés à cause d’un teint trop marqué et sans vie. Qui aurait pu imaginer que le vert et le bleu sont des teintes nécessaires pour rendre la carnation de la peau ?
Emprunté de l’italien incarnato, mot dérivé de carne (« chair »). Couleur de la chair, rouge rose clair. Couleur intermédiaire entre la couleur de cerise et celle de la rose. Le problème dans toute représentation réaliste humaine est la facture de l’incarnat, de cette couleur aux mille nuances qui recrée la vie dans l’espace du tableau. Les peintres ont tous usé leurs pinceaux à cette tâche difficile et rares sont ceux qui ont atteint l’excellence. « Pour rendre la vraie chair, il s’agit de rendre l’incarnat de la vie, ce coloris à travers lequel la peinture se rêve d’être corps. L’incarnat impose une surface pelliculaire et suggère une sous-jacence, il représente donc un entre-deux, entre surface et profondeur. La résurgence de la vie souterraine est aussi trahie par le palpité des chairs ou les fugitives transparences du corps qui permettent les imperceptibles apparitions d’un bleu, d’un vert presque insensible. » Les frères Goncourt: art et écriture, Par Jean-Louis Cabanès. « Je veux que la peinture soit chair » disait Lucian Freud, spécialiste de son rendu.
Le glacis est une technique qui permet de rendre plus vrai le rendu de la peau. La technique consiste à superposer des fines couches translucides de peintures pour obtenir un mélange qui se fait sur la toile. Les couches inférieures transpirent contre les premières et c’est ainsi que l’on arrive à obtenir un rendu approchant la carnation de la peau. La peinture est diluée dans le liant qui lui confère sa transparence. Le premier à avoir maîtrisé à perfection cette technique est Van Eyck.
Le glacis est un vieux procédé , né de la volonté de mieux rendre, à tempera puis à l’huile, l’effet de transparence des tissus ou la palpitation de la chair. Mise au point dès l’Antiquité, cette pratique est visible sur les peintures murales de Pompéi.
Mais c’est avec l’avènement de la peinture à l’huile que cette pratique s’est généralisée. Elle a mené à la mise au point de nombreux médiums à base de résine et d’huiles siccatives, crues ou cuites, destinés à obtenir différents effets.
On peut situer ses débuts à la Renaissance avec les Flamands (Van Eyck)
tout d’abord qui recherchaient un certain illusionnisme dans leurs oeuvres (afin d’émouvoir et de surprendre le public) puis avec les Vénitiens (Bellini) qui commencèrent à jouer avec la pâte (empâtement, touche, glacis).
La pratique du sfumato, de Léonard de Vinci
à Rembrandt
en passant par les clairs-obscurs du Caravage
et ceux de La Tour,
a porté le glacis à un haut degré de raffinement.
Gustave Courbet fut le peintre des chairs par excellence. On peut voir dans ses tableaux une qualité du rendu de la peau assez exceptionnelle.
Fragonard rendit la carnation de la peau dans son tableau de manière vive et crue.
Plus tard, Lucian Freud, Portrait de Francis Bacon, peint des corps avec l’obsession du rendu de la peau. Il mélange les couleurs, dépose des touches larges sur la toile qui s’entremêlent comme les nombreux muscles du visage. Une teinte verdâtre rend cette peau diaphane comme si on voyait les veines courir sous l’épiderme.
On se rend bien compte dans la toile ci-dessous du travail des nuances et de la touche mené par l’artiste.
Omar Ortiz est un peintre hyperréaliste mexicain. On voit bien dans les vues de détails ci-dessous la présence du vert sous la couleur chair qui confère un effet de vie à la peau.
Mais la carnation de la peau n’a pas été toujours réaliste et certains peintres ont cherché à la rendre différemment.
Modigliani frappe par petites touches la toile de son pinceau avec des teintes orangées pour la peau:
Picasso décompose les couleurs de la carnation de la peau:
Francis Bacon fragmente le visage et ses couleurs
L’artiste brésilienne Angelica Dass, pour son projetHumanae a réalisé une galerie de portraits auxquels elle a joint un code Pantone correspondant.
L’artiste d’art contemporain américain Fred Wilson, exposée au Brooklyn Museum, en 1993 a réalisé l’œuvre intitulée Grey Area représentant 5 sculptures de Nefertiti de couleurs de peau différentes.
Ron Mueck propose des oeuvres où l’épiderme est rendu avec une minutie extrême. Ces oeuvres invitent à la méditation et au questionnement de notre rapport à l’existence.Surdimensionnées, il faut pour les contempler dans leur ensemble, une juste distance. Trop près, on est envahi par la quantité de détails. Ron Mueck se fait chair quand on se tient à quelques pas.
La peau est ausssi un support des créations de Wim Delvoye qui tatoue sur des peaux de porc quantité de dessins parfois issus de la mode comme le sont ces motifs de Louis Vuitton. Un collectionneur allemand fait l’acquistion du dos de Tim Steiner, un Suisse de 31 ans tatoué par l’artiste contemporain Wim Delvoye. « C’est un rien morbide, concède l’artiste, je ne veux pas en tirer de l’argent ». déclare Wim Delvoye.
Les notions dans les arts plastiques:
http://atomic-temporary-26416781.wpcomstaging.com/les-notions-dans-les-arts-plastiques/
Merci pour cet article passionnant et si bien illustré:)