Pendant longtemps, la psychologie n’a pas profité à l’enseignement. Celui-ci dispensait son savoir de manière descendante sans se soucier du profil de l’apprenant. L’enseignant joue le rôle d’un modèle inaccessible tant son savoir est grand et sa parole ayant valeur d’un dogme.
Mais depuis des décennies, la psychologie a changé la manière de percevoir le fait d’enseigner en proposant d’autres systèmes qui pour certains, renversent les rôles: où l’élève devient le constructeur de son savoir et de ses compétences.
J’ai repris le plan de la source plus complète en fin d’article de l’Académie de Nice. Une relecture à partir de notre discipline.
Le modèle transmissif d’apprentissage:
C’est le cours magistral par excellence où les élèves écoutent, prennent des notes et osent parfois, quand la parole leur est donnée, de poser des questions. La géométrie de cet enseignement est verticale et pyramidale: du haut vers la base.
L’enseignant fait sa transposition didactique chez lui et transmet ses connaissances à son public. Il ordonne sa pensée selon une progression et bien souvent l’évaluation est sommative en fin de parcours.
L’élève est celui qui ne sait pas et l’enseignant celui qui sait. Ce modèle transmissif me rappelle cette période de ma vie au collège où l’enseignant de dessin me disait « je ne peux pas mettre 20/20 car rien n’est parfait ». Il y a de l’ordre du divin dans ce schéma qui existera toujours dans l’esprit de certains enseignants.
C’est un peu une logique de l’entonnoir où le maître déverse dans les têtes « vides » de ses élèves le tout ou une partie de son savoir. Il y a une barrière infranchissable entre celui qui sait et celui qui ignore: l’estrade en est la matérialisation. Certaines dispositions de classes se prêtent mieux à ce genre de technique d’enseignement: des tables alignées ou en U, bien que cette dernière soit plus révolutionnaire.
Les élèves doivent être sages et sont maintenus dans une passivité cérébrale, se contentant de prendre des notes de ce qui se dit. Ce modèle convient à des élèves autonomes et responsables, attentifs et à l’écoute.
Le rythme est le même pour tous et on entend souvent cette phrase en conseil « mais il n’a pas rattrapé ses leçons ! ». Comment développer l’esprit critique dans un tel cadre ?
Le comportementalisme ou behaviorisme:
Cette tendance a été une première révolution dans nos manières d’enseigner durant la première moitié du XXème siècle. Le behaviorisme est un terme inventé en 1913 par l’américain Watson, vous savez, l’ombre de Holmes ! La psychologie s’intéresse à la science du comportement. Un schéma de circulation de l’information enseignée est proposée par ce courant: S (stimulus) > R(réponse). Un stimulus engendre une réponse. Basé sur les stimuli et la répétition, ce schéma est un peu réducteur de l’apport de cette théorie. La Pédagogie par Objectifs est née de ce courant, et l’Enseignement assisté par un ordinateur.
Pour les comportementalistes, le cerveau est une boîte noire dont seules les entrées et les sorties sont intéressantes. Ils ne considèrent pas l’apprenant comme un sujet élevé dans un cadre socio-affectif donné et vivant dans un cadre précis.
Mais le comportementalisme permet entre autres d’évaluer différemment les élèves que par la forme binaire vrai-faux et il propose des solutions pour permettre à l’élève d’améliorer ses performances. L’élève devra être capable de … savoir … maîtriser: telles sont les phrases comportementalistes à l’oeuvre dans ce type d’apprentissages. Notre discipline d’arts plastiques est bien fondée pour une part sur des théories behavioristes. Observer le comportement de l’élève face à la nouveauté ou à la difficulté permet de comprendre où il y a une faille dans ses mécanismes d’apprentissages.
Le comportementalisme a mis une limite à la toute – puissance du maître selon le modèle transmissif et a permis une meilleure observation des apprenants. Dans nos disciplines c’est flagrant.
La force de ce courant est de pointer si l’objectif correspond bien aux évaluations données. Il y a plus de rigueur dans l’appréciation des qualités des élèves.
Mais ses limites concernent les objectifs plus complexes à réaliser par les élèves: ce n’est pas parce qu’ils auront réussi la totalité d’une quantité de sous-objectifs qu’ils atteindront forcément l’objectif final visé. En matière d’apprentissage, le tout peut ne pas être la somme des parties qui le composent.
L’apprentissage se fait par essais, par erreurs et conditionnement.
Le constructivisme:
Les connaissances sont construites et édifiées par les apprenants. L’enseignant pose l’apprenant face à une question ou un problème ouvert et celui-ci va traverser trois phases selon le modèle de Piaget:
La phase d’assimilation: Les données sont intégrées par l’élève qui les associe, les compile avec ce qu’il sait déjà. IL va du connu vers l’inconnu.
La phase d’accomodation: Le sujet a été « perturbé » par de nouvelles informations sur lesquelles il a agit et qu’il a fait siennes. Son paysage mental a évolué et il est capable de transposer ces nouvelles données dans son environnement. Il voit les choses différemment.
C’est intéressant de remarquer que les mouvements de la phase d’assimilation et d’accomodation sont contraires: l’un est centrifuge et l’autre centripète.
La phase d’équilibration: L’intelligence est une forme d’adaptation et c’est en observant ses enfants que Piaget a décrypté ces strates dans sa théorie des apprentissages. Le sujet va rechercher sa solution la plus adéquate à son équilibre.
La force de ce système est de proposer plutôt des environnements de travail où la pensée pourra se faire et se défaire et où le sujet sera amené à s’auto-observer.
L’apprentissage se fait par l’action. C’est une conception sctructurale de l’apprentissage et c’est cette structuration qui conditionne l’appréhension de la réalité. L’évolution part du concret vers l’abstrait.
Les 4 étapes d’un problème ouvert:
- L’élève mobilise ce qu’il sait déjà pour tenter de résoudre le problème. Assimilation
- L’élève n’y arrive pas: il prend conscience de ses limites et naît alors un conflit cognitif.
- Il va adapter ce qu’il sait à la nouvelle situation en cherchant une nouvelle solution.
- L’élève construit lui m-eme son savoir et ses compétences. Il est l’auteur de lui-même et non dépendant de l’enseignant.
Le positif dans le constructivisme c’est que l’élève sent en lui-même la construction de ses savoirs et de ses compétences: et dans ce sens il s’élève lui-même.
Le socio-constructivisme:
Le socio-constructivisme fait entrer une donnée non négligeable: celle du milieu et de l’environnement. Il y a des interactions entre les apprenants. Les échanges élèves-professeur et élèves-élèves sont pris en compte. C’est bien sur cette base que nous travaillons en arts plastiques. Songeons aux mises en commun. L’évaluation sera formative et permettra à l’apprenant de contextualiser ses connaissances. On peut penser que Piaget est au constructivisme ce que Vygotski est au socioconstructivisme.
Ce courant de pensée avance la thèse que nous ne nous construisons qu’en société et dans le groupe. Le cerveau n’est pas la boîte noire des comportementalistes. Pour Vygotski, la connaissance va du social à l’individuel.
« Pour Vygotski, la direction du développement de la pensée va du social à l’individuel. Les outils intellectuels élaborés par l’individu le sont tout d’abord au cours d’interactions, d’échanges. Il y a une double construction des fonctions psychiques supérieures, chaque fonction apparaissant deux fois, ou se développant en deux temps : « d’abord comme activité collective, sociale et donc comme fonction inter-psychique, puis la deuxième fois comme activité individuelle, comme propriété intérieure de la pensée de l’enfant, comme fonction intra-psychique » (Vygotski, 1935/1985, p. 111). » voir sources à la fin.
L’élève pourra un jour réaliser seul ce qu’il a construit avec autrui. Dans ce système, enseigner c’est avoir une petite longueur d’avance sur les élèves et le groupe classe et proposer des problèmes ouverts où la plupart d’entre eux pourront s’approprier les réponses. Les élèves s’enrichiront mutuellement par leurs découvertes et expériences. Nos apprentissages par explorations et réinvestissements proviennent de ce système là.
L’enseignant n’est plus un orateur, c’est un soutien, un passeur, un formateur, un médiateur de compétences et de savoirs. De plus, les informations sont reliées à des perceptions sensibles du groupe, des autres.
L’apprentissage se fait par observation, imitation, dépassement.
Le processus d’étayage:
Bruner propose deux idées forces:
- la connaissance est le noyau de la culture qui donne forme à l’esprit
- l’activité de l’esprit ne se fait jamais seule, de manière isolée du reste du monde.
Bruner critique le modèle transmissif où finalement maître et élèves sont passifs. rien ne se construit dans ce modèle d’apprentissage de manière sociale et active. Pour lui, apprendre est « un processus interactif dans lequel les gens apprennent les uns des autres » (ibid., p. 38) Ce qui est bénéfique pour l’élève dans le processus d’étayage tient aux composantes socio-affectives qu’aux aspects cognitifs ou intellectuels.
Aspect socio-affectif:
L’élève n’a pas une relation neutre avec son enseignant. Celui-ci doit maintenir la juste distance entre lui et la connaissance un peu comme un équilibriste. Il ne doit pas entretenir la dépendance et guider dans le retrait l’élève vers la réussite.
Aspects cognitifs:
C’est pour l’enseignant une manière de montrer le chemin sans en dévoiler la trace, c’est partir des acquis des élèves et de les guider dans le retrait vers la solution. C’est un rôle d’arbitre qu’il joue dans sa classe avec bienveillance et discrétion.
Le conflit socio-cognitif:
consiste à construire des problèmes où les solutions pourront être divergentes mais où cette divergence ne porte pas sur les élèves. Les apprenants seront en proie à l’étonnement et prêts au dialogue. L’art du maître est de trouver des activités qui vont faire émerger des désaccords qui seront entendus et validés par la classe après le dialogue. Le savoir n’est plus unilatéral mais permet une forme de pensée en réseau et non plus binaire.
La métacognition:
C’est le phénomène de pensée qui permet à l’élève de réfléchir à ce qu’il fait ou est en train de faire. C’est une forme de pensée sur de la pensée ou de l’agir. Le regard de l’élève est porté à la fois sur l’objet qu’il travaille et sur lui-même. Nos mises en commun favorisent cet état de métacognition où les élèves apprennent à réfléchir en faisant ou en découvrant ce que les autres ont fait. L’élève apprend à apprendre.
L’apprentissage coopératif:
L’enseignant se base sur ce que les élèves peuvent s’apprendre entre eux. Le travail de groupe est le meilleur système pour y parvenir. Mais les élèves peuvent-ils être des enseignants ? Ils échangeront des pratiques, des savoirs faires mais en terme de connaissances ?
« S’agissant de la démarche des élèves, Pléty met en évidence trois aspects : – reconnaître ce qui est à faire, – organisation temporelle du travail, – succession des opérations en vue d’atteindre un objectif. Pléty note qu’il y a souvent un écart important entre la démarche de l’enseignant caractérisée par ses aspects déductif et affirmatif, et celle de l’élève qui est au contraire très pragmatique, inductive et analytique. » voir source
Le tutorat:
Les effets peuvent être positifs d’un parrainage ou tutorat. Il peut être valorisant pour celui qui soutien et déculpabilisant pour celui qui est aidé. La transmission est ici transductrice.
La classe inversée:
L’enseignant met dans les mains des élèves du travail à lire et à apprendre à la maison. Le cours le lendemain commence donc sur des acquis avec des exercices complétant cette activité à la maison. Pouvons-nous, enseignants d’arts plastiques adopter ce système qui éliminerait toute forme d’étonnement lors de la mise en route de nos séances ?
Le connectivisme:
Le connectivisme est une « théorie de l’apprentissage développée par George Siemens et Stephen Downes et basée sur les apports des nouvelles technologies. Elle s’appuie sur leur analyse des limites du béhaviorisme, du cognitivisme et du constructivisme afin d’expliquer les effets de la technologie sur la façon dont les gens vivent, communiquent et apprennent » (wikipedia). C’est un courant qui montre qu’on peut co-apprendre avec des outils numériques seul, sans la présence du professeur. « Comment les nouvelles technologies peuvent aider à prolonger le style d’apprentissage avec amusement aux personnes de tous âges, qui permet à chacun d’apprendre à travers la conception, la lecture et le partage ? »Lifelong Kindergarten: Design, Play, Share, Learn
Conclusions:
Le modèle socio-constructiviste est le plus adéquat à notre discipline mais parfois le modèle transmissif est présent quand nous devons apporter des informations sur des oeuvres d’art non visibles et déductibles par les élèves. Mais cette situation est rare.
Le savoir est en perpétuelle évolution tout comme le sont les compétences. Alors, changeons nos tables de place, circulons dans l’espace de la classe, proposons des problèmes ouverts à nos élèves.
Pour ma part, je suis en mutation et je construis des séquences où les difficultés sont croissantes pour les élèves, conçues comme une sorte non pas de problème ouvert mais de promenade sans tracé unique pour parvenir à leurs fins.
Suite de l’article ici: Partie 2
Sources:
http://www.ac-nice.fr/iencagnes/file/peda/general/Theories_apprentissage.pdf
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