L’image des Noirs dans l’art occidental. Partie 2

A partir du moment où, dès la fin du XVème siècle, les Portugais entament les premiers des relations commerciales avec l’Afrique, débute la période de la traite des Noirs, ceux-ci étant alors considérés comme des marchandises à vendre. Première nation européenne et pendant un bon siècle, la seule, le Portugal  inaugure un « espace de circulation des marchandises et des hommes (1) » entre Afrique, Europe et Amériques. Cette pénétration en Afrique s’accompagne en parallèle d’efforts de christianisation et de relations diplomatiques avec les dirigeants locaux, notamment au Congo.

Les quelques exemples où des dignitaires africains sont reçus avec égards et font l’objet de représentations dignes et majestueuses ne compensent évidemment pas l’image des Noirs, objets d’échanges et de spéculations financières,  qui va dominer très largement pendant les XVIème et surtout XVII et XVIII ème siècles.

Le plus emblématique des diplomates traité comme un plénipotentiaire de haut rang est   Antoine Emmanuel  Ne Vunda. Triste sort que le sien puisqu’après un périple de trois ans pour parvenir à Rome, il meurt d’épuisement au Vatican malgré les soins que lui  fait prodiguer le Pape Paul  V. Celui-ci commanda à sa mémoire un buste à Francesco Caporale qui s’inspira du masque mortuaire de l’Ambassadeur. En marbre polychrome, cette œuvre met en valeur en juxtaposant les noirs intenses, les blancs et les jaunes,  les traits africains du personnage en lui conférant, par la pose à l’antique une véritable noblesse.

Francesco Caporale. 1629. Baptistère  de Santa Maria Maggiore à Rome

Ce même Ne Vunda a été représenté par deux fois et la comparaison entre les deux gravures est intéressante, l’une, celle de du Mortier, le représente en roi africain, un arc à l’épaule, l’autre, celle de Schiaminossi en notable vêtu à l’Européenne à qui le Pape administre les derniers sacrements au bas de l’image à gauche tandis qu’à droite sa dépouille est conduite à Sainte Marie Majeure .

Antonio Manuel Nsaku ne Vunda. Guillaume du Mortier.

Raffaello Schiamiossi. Don Antonio Manuele de Funta, Ambassadeur du roi du Congo auprès du Pape.1608. Museum of art Baltimore.

Encore plus intéressant, car réalisé par un artiste local, ce portrait au  maniérisme délicat d’un cacique équatorien et de ses fils adressé en signe d’allégeance à Philippe III d’Espagne. Chapeaux à la main en signe de soumission, richement vêtus à l’Occidentale mais parés de bijoux ethniques témoignant de leur puissance, ils regardent le spectateur dans les yeux, à la loyale :  le pacte avec le souverain est passé.

Andrés Sánchez Galque. Les trois mulâtres de Esmeraldas. 1599. Prado, Madrid.

Mais ces rares exemples ne peuvent faire oublier les images des Noirs objet du commerce triangulaire entre l’Afrique, l’Europe et les Amériques.

Vers 1770, apparaît en Angleterre et aux Etats-Unis l’abolitionnisme, mouvement d’une nouveauté radicale qui remet en cause l’esclavage aux colonies. Le plan d’un bateau négrier de cette époque fait sensation dans le monde occidental. 454 esclaves sont transportés dans des conditions inhumaines dont beaucoup meurent au cours de ces transports.  « Il s’agit du plan exact d’un navire existant, le Brooks, construit à Liverpool en 1781, qui effectue la traite entre la Côte de l’Or et les Antilles, mais à l’époque, tous les bateaux négriers, quelle que soit leur nationalité, transportent les captifs selon les mêmes dispositions à travers l’Atlantique »(2). Ce plan technique d’un bateau négrier a ému et enflammé les esprits en Europe. Il devait inspirer un discours à Mirabeau impressionné par ce plan, discours qui n’a jamais eu lieu. Cette image est devenue le symbole des mouvements abolitionnistes.

Le départ d’Afrique, le trajet en cale, le débarquement et  la vente des esclaves, leur installation sur tout le continent américain, dans les Caraïbes et à la Réunion (île Bourbon) et la détresse que cela implique sont représentés dans de nombreuses œuvres.

George Morland. Execrable Human Traffick, or The Affectionate Slaves. 1789. Oil on canvas. 85.1 x 121.9 cm. Menil collection Houston.

Aux gestes amples des trois commerçants qui viennent enlever un père de famille noir s’opposent l’attitude recroquevillée de l’Africain déjà embarqué, les gestes de supplication du couple qui va être séparé. Au fond  attend le bateau…C’est avec le jaune vibrant du pagne de l’homme qu’on emmène, à quoi répond en écho celui d’un enfant noir au second plan à droite, que l’artiste prend parti contre la traite : le vrai héros du tableau c’est cet homme noir !

Quant au trajet c’est peut-être Turner qui propose la plus magistrale des œuvres : celle du naufrage en mer, le titre originel  Slavers throwing overboard the Dead and Dying,  Typhoon Coming On (Négriers jetant par-dessus bord les mourants et les morts), devant le danger et sachant que les compagnies d’assurance ne remboursent pas  la « cargaison » en cas de catastrophe naturelle l’équipage s’en débarrasse ! Dans ce maelstrom  de couleurs, ce chaos où ne distingue plus le ciel de la mer,  on ne remarque rien à première vue, puis le premier plan se détache, des oiseaux, des monstres marins, des fers, des bras noirs et une jambe noire encore entravée par sa chaîne qui flotte, attendant d’être happée !

Turner. Le navire négrier.1840. Museum of fine arts Boston.

Plus anecdotique cette vente aux enchères où, devant une assistance raffinée de la Nouvelle Orléans,  on vend en même temps des êtres humains dévêtus ou presque (donc dépourvus de leur humanité puisque tous les autres sont dûment corsetés), des marchandises et des œuvres d’art !

William Henry Brooke. 1842.Interior view of a room with a rotunda ceiling during an auction of slaves, artwork and goods.

Ce bétail humain est ensuite transporté en charrette à la sortie du train et transporté par leurs maîtres vers les plantations où ils seront soumis au travail forcé.

Eyre Crowe. After the Sale Slaves Going South from Richmond. 1853. Chicago Historical Society.

En général en effet le déplacement forcé de populations africaines vers les Amériques engendre le plus souvent leur installation  sur des plantations dont les représentations sont innombrables :

Alexandre soldé. Une plantation de cacao aux Antilles. Musée de La Rochelle.

Même si la scène semble plutôt paisible et relever du genre idyllique on note que les Blancs contemplent et que les Noirs travaillent.

  1. J. Patu de Rosemont Français, 1767-1818 La culture du café à l’île de Bourbon. MNHI Paris.

Parmi nombre d’œuvres de qualité assez moyenne et relevant plutôt du domaine de l’illustration  celles de William Blake se distinguent, par leur violence, leur sécheresse sans le moindre pathos, elles « disent » ce que John Gabriel Stedman a observé au Surinam lors de sa mission militaire, sa description des violences exercées contre les « nègres marrons » (esclaves évadés) bouleverse tant Blake qu’il propose à Stedman d’illustrer sa relation de voyage.  La plus bouleversante de ces gravures est celle d’un esclave évadé et rattrapé, suspendu par la taille à une potence, il mit quatre jours à mourir. La dignité que le trait de Blake confère au jeune homme, sa grande beauté, tout comme les ossements parsemés à sa base comme un rappel du crâne d’Adam placé par les peintres aux pieds du Christ, en font une icône religieuse au plein sens du terme. On note en arrière-plan à droite le bateau négrier, rappel de la traite qui se poursuit….

  1. Blake illustration pour Narrative of a five years expedition against the revolted Negroes of Surinam, from the year 1772 to 1777, elucidating the history of that country and describing its productions de Stedman.

Alors que la traite bat son plein le regard porté sur les Noirs par les sociétés occidentales change profondément. Pour pouvoir sans trop d’états d’âme faire commerce d’êtres humains il importe d’en démontrer l’infériorité. Nombreux sont les savants qui à la fin du XVIIème et surtout au XVIIIème siècle se penchent sur l’origine de la couleur noire des Africains en étudiant tant leur anatomie que leur physiologie afin de parvenir à justifier l’esclavage par une théorie des races qui faisait des Noirs non plus des variétés de l’espèce humaine mais  des êtres inférieurs. Il est facile ensuite de passer à des représentations qui deviennent ultérieurement des clichés sur les personnages noirs et finissent par constituer un « imaginaire visuel des contacts »(3). Du coup on peut sans problème peindre les Noirs nus ou peu vêtus et porteurs d’un collier, marqueur de leur condition.

Cette condition servile est parfois poussée à son paroxysme puisque la femme noire est quasi fatalement destinée à servir d’objet sexuel à son maître. Un des pires tableaux sur ce thème sordide est celui du musée de Strasbourg, longtemps resté caché en réserve tant sa violence dérange à juste titre l’observateur. Sa force de dénonciation en fait pourtant une œuvre importante que nous n’avons pas voulu occulter.

Christian van Couwenbergh. 1604-1647. Scène de moeurs dit le rapt ou le viol de la négresse. 1632. Strasbourg Palais des Rohan .

Le Noir quand il n’est pas cantonné dans un rôle d’esclave travaillant dans les plantations  est relégué au rang de domestique. Les représentations de personnages noirs dans un tel rôle sont   innombrables, déjà fréquentes au XVIème siècle, elles deviennent pléthoriques au XVIIIème où il est de bon ton de se faire représenter avec un serviteur noir.

Anthony van Dyck, Marchesa Elena Grimaldi Cattaneo, 1623. NGA Washington.

Rigaud. Portrait d’Auguste III. 1714.Dresde, Kunstsammlungen, Gemälde Galerie Alte Meister

Hogarth Le mariage à la mode. 1743. NG Londres.

Pierre Mignard I. Louise de Kérouaille, Duchess of Portsmouth. 1682. National portrait gallery Londres.

Philippe-Vignon. Louise-Françoise-de-Bourbon-princesse-de-Condé-avec-sa-soeur-Françoise-Marie-de-Bourbon.

Le tableau de Vignon est emblématique du statut du domestique noir, faire-valoir de la carnation de ses maîtresses, porteur du collier de servitude tout comme le chien au niveau duquel il est ravalé comme le montre l’échange de regards entre eux et la main possessive de la princesse sur eux deux.

Poignant aussi le duo des deux petites filles d’environ cinq ans, l’une Marie-Jeanne richement habillée et sa jeune servante, sans autre prénom que son statut de « négrillone », vêtue beaucoup plus simplement  et en retrait  symboliquement par rapport à sa maîtresse.

Chanteloub. Portrait_de_Marie-Anne_Grellier_avec_sa_Négrillonne. 1721.

Velasquez dans sa peinture représente au premier plan une domestique noire et le repas sacré à l’arrière-plan devenant anecdotique. Le divin se loge ainsi dans les confins du quotidien. La jeune femme noire baisse les yeux en signe de soumission. L’image de cette femme noire est à la fois belle et émouvante. Lorsqu’on regarde de près ce tableau, on pense forcément à la Dentellière de Vermeer.

VELASQUEZ  Repas à Emmaus MET New York (123.2 x 132.7 cm) Huile sur toile 1622

Les représentations de Noirs dignes à la manière d’un Cranach perdurent pendant les siècles. Hyacinthe Rigaud peint en 1697 ce jeune noir avec un arc avec un soin particulier pour le rendu des étoffes et des matières. On finit presque par oublier que le collier doré qu’il porte autour du cou est un rappel de son statut d’esclave.

Zamor (baptisé Louis-Benoît), (1762 (?) – 7 février 1780), capturé par des esclavagistes anglais à l’âge de 11 ans, et « vendu »  à Louis XV en 1773. Il entre alors au service de Mme du Barry, qui lui donne une éducation. Celle-ci cependant le traitait comme un jouet et ne le protégeait pas des railleries racistes de son entourage. Dans le tableau, on le voit enfant et il occupe la marge de la toile : la chaise de la Comtesse occupe davantage d’espace que celui attribué à l’enfant esclave.

Le côté soyeux du costume blanc dans cette peinture ci-dessous met en valeur la carnation de la peau et confère un statut angélique à cet homme noir. Marie-Victoire Lemoine en 1785 peint ce portrait avec beaucoup d’élégance et de brio. S’agit-il d’un portrait de Zamor ? Il semblerait que non. Cet esclave aurait joué un rôle pendant la révolution française.

En 1786, Siriaco homme noir atteint d’une maladie de peau fait l’objet d’un portrait très prisé. Ces noirs appelés « pie » fascinaient le public. Ce tableau est conservé au Musée d’histoire de la médecine.

Tant qu’il a existé l’esclavage n’a cessé d’être dénoncé et les artistes se sont de plus en plus au fil du temps employés à défendre la cause abolitionniste.

Ainsi la peinture de Marie-Guillemine Benoist, réalisée en 1800 alors même que l’esclavage vient temporairement d’être aboli en France et dénoncé comme un « crime de lèse-humanité », est considérée comme un symbole de cette abolition. On a pu la comparer à une Marianne noire, sa peau est rendue avec un soin particulier. Elle tend son sein au spectateur comme une madone nourricière. C’est une Marianne ou une Amazone noire.

Selon Luce-Marie Albigès, le portrait de cette femme noire « se présente dans une situation non conforme à sa condition de domestique, qui était probablement même celle d’une esclave avant 1794. Le regard directement tourné vers le spectateur, assise dans un fauteuil à médaillon drapé d’un riche tissu, elle occupe la place traditionnelle d’une femme blanche ».

Autre icône de l’émancipation des esclaves ce portrait par Girodet de Belley, ancien esclave affranchi, devenu député de Saint Domingue à la Convention en 1793 et actif pour faire adopter la première abolition de l’esclavage en 1794.

Anne Louis Girodet Trioson. Jean-Baptiste Belley, député de Saint Dominique à la Convention.1797. Musée du château de Versailles.

Ainsi aussi bien sûr Theodore Gericault, Portrait of a Black Man (Joseph), c. 1818-1819, J. Paul Getty Museum. (attribution controversée) Ce portrait saisit une expression sur le vif. Le col de la chemise mal ajusté et la sobriété de sa veste font de lui un homme libre mais de modeste condition. Géricault veut rendre au peuple noir ses titres de noblesse en peignant l’âme de cet homme de couleur. Dans son tableau Le Radeau de la Méduse 1818-1819, figurent de nombreux noirs participant au naufrage dont celui qui, au faîte de la composition, en véritable héros, agite un tissu de détresse, il porte ainsi les espoirs de tout le groupe et, symboliquement, ceux de l’humanité entière. Ce jeune homme au sommet de la pyramide humaine était un modèle très prisé des peintres, nommé Joseph.

Eugène Delacroix représente une femme noire dans son intimité. Elle porte un collier noir autour du cou comme signe de son ancienne condition. Toute la force de ce tableau réside dans le contraste entre la posture érotisée et le regard digne et droit, fixant le spectateur.

Aspasie ou Aline la mulâtresse, Delacroix, 1824, huile sur toile, Musée Fabre de Montpellier.

Autre portrait de Delacroix, celui  d’Aspasie en 1824 où la picturalité est au service du sujet du tableau. La touche est contrastée et il se dégage de cette toile une force évidente : la jeune femme noire est un prétexte de peinture. Par ce geste, la condition noire et son émancipation deviennent un vrai sujet de peinture. Delacroix cherche à figurer l’âme de son modèle.

Théodore Chassériau
(20.09 1819 Sainte-Barbe de Samana – Paris 08.10 1856) Titre Etude de nègre Chronologie 1838

Théodore Chassériau a peint cette étude pour un projet pictural d’Ingres avec pour contrainte de le peindre dans le plus grand secret, le projet ne vit jamais le jour mais nous lui devons cette pose étonnante, très difficile à tenir par Joseph (le même modèle qu’employé Géricault, aussi ) Chassériau mit du temps à réaliser cette étude.

Ce modèle nommé Joseph fut représenté par de nombreux peintres dont Brune également. Il était apprécié pour son physique mais aussi sa personnalité. Joseph était originaire des Antilles.

Jean-Léon Gérôme    1824-1904     « Bashi-Bouzouk nègre »   c.1869 Huile sur toile  81 × 66 cm Metropolitan Museum of Art, New York City. La beauté du costume d’apparât et les teintes orangées des étoffes confèrent un sentiment de majesté à ce bel homme noir. Il nous tourne le dos comme pour nous inviter à ne pas le défier. Le bachi-bouzouk est un cavalier mercenaire de l’armée turque autrefois. Ici, il est représenté sous les traits d’un homme noir. Gérôme, toujours très soucieux de la plus grande précision historique et ethnographique, avait acheté lors d’un de ses voyages au Proche-Orient, le costume peint dans le tableau qui, avec la noblesse conférée au sujet, contraste avec la personnalité brute et brutale des mercenaires.

Le journaliste Victor Schoelcher qui avait mené depuis des années un combat dans la presse contre l’esclavage, fut nommé en février  1848 secrétaire d’Etat aux colonies et fit adopter par un décret du 27 avril 1848 l’abolition définitive de l’esclavage dans les Colonies. 250 000 esclaves devaient ainsi être émancipés. Le sculpteur Barrias célèbre son action dans une statue de 1896.

Louis Ernest Barrias. Statue de Victor Schoelcher à Cayenne. 1896.

L’abolition de l’esclavage (1849) par François-Auguste Biard – Château de Versailles. Le peintre reprend la composition du Radeau de la Méduse de Géricault mais transposée sur la terre ferme. Mais au lieu d’être tournée vers l’horizon, le noir brisant ses chaînes fait face au spectateur qui est invité à participer à la scène. Un noir situé au premier plan du tableau, perd son chapeau et fait entrer le spectateur dans l’histoire qui se déroule sous ses yeux. Une jeune femme noire tient malgré tout la main d’une femme blanche comme si elle regrettait son ancien statut, ou signe de l’attachement mutuel qui pouvait lier la maîtresse et sa servante ? .

Le Noir Scipion, vers 1867, Museu de Arte de São Paulo Assis Chateaubriand par Cézanne va dans le même sens. La picturalité est le véritable questionnement du tableau. La touche est généreuse et souple, la carnation de la peau parfaite. Le sommeil de cet homme noir est d’une grande nouveauté. En effet, durant les siècles précédents, la condition noire était liée à l’idée du travail et du labeur. Cézanne réhabilite leur condition humaine par le droit au repos.

Le Barbier Noir à Suez, de Léon Bonnat de 1876 représente une scène de travail d’un barbier noir. Le geste du barbier est aussi précis que celui du peintre. Bonnat cisèle sa peinture pour rendre la scène tangible. Le corps athlétique du barbier par effet de contraste rend son geste avec sa lame de rasoir encore plus précis et méticuleux. L’abandon entre ses mains du second personnage est saisissant. Le travail et le lâcher-prise sont les deux thèmes se côtoyant dans le tableau.

Léon Bonnat, Le barbier nègre à Suez, 1876, Huile sur toile, Curtis Galleries, Minneapolis

Edouart Manet peint Olympia en en en 1863, toile de 2mX1,30m qui fait scandale à cause de son parti pris réaliste. Le nu n’est pas apprécié et on remarque la présence d’une servante noire sur la droite. La carnation de sa peau crée un contraste avec le bouquet de fleurs. Le drapé est spectaculaire et met en scène les personnages avec les nuances de blanc contrastant avec la pièce sombre.

Ce lien maîtresse/servante c’est celui que l’on retrouve dans Olympia,

Olympia. Edouard Manet. 1863. Musée d’Orsay. Paris.

il remonte à une tradition ancienne, ravivée au XVIIIème siècle : les femmes à leur toilette assistées d’une servante noire. Manet en fait un symbole de l’entremetteuse : elle porte le bouquet, cadeau d’un admirateur qui achète ainsi les charmes de la jeune femme nue, offerte. Plastiquement elle est reliée à sa maîtresse par la couleur de sa robe identique à celle des chairs nues d’Olympia, mais aussi au chat noir parfaitement aligné avec la main qui tient le bouquet dans une des lignes de force du tableau. Main dont la noirceur contraste fortement avec le blanc éclatant du papier enveloppant le bouquet.

Ce contraste noir/blanc on le retrouve comme inversé dans la Toilette de Frédéric Bazille, encore une scène de toilette, presque de harem, de bain turc ou de maison close à nouveau, mais cette fois c’est la main de la femme nonchalante se laissant habiller et parer, qui se détache sur la peau foncée de sa servante.

Frédéric Bazille. La toilette. 1869-70. Musée Fabre. Montpellier.

On peut s’interroger sur la nature des liens entre les deux femmes que Félix Vallotton met en scène en 1913 dans la blanche et la noire, nous sommes encore, probablement dans un milieu proche de la prostitution, la référence à Manet est évidente mais l’attitude du personnage noir a changé, ici plus de rapport de maîtresse à servante, la femme noire est peut-être encore entremetteuse, mais surtout son attitude attentive, le fait qu’elle soit vêtue quand l’autre est nue, son regard dominateur porté sur la jeune blanche qui dort, la cigarette fumée négligemment, tout indique que la patronne c’est elle, que nous soyons dans une scène saphique ou, plus probablement, dans un bordel dont elle serait la tenancière.

Félix Vallotton. La blanche et la noire. 1913. Fondation Hahnloser. Winterthour.

Au XXème siècle, la publicité reprend des thèmes coloniaux au sujet des noirs comme dans la personnification du chocolat.

Ou alors cette publicité du chocolat en poudre bien célèbre :

Le premier artiste noir de la scène française, « le clown Chocolat », a connu un véritable succès pendant quinze ans, avant de finir ses jours dans la misère en 1917.

Parallèlement à cette régression raciste véhiculée par la publicité, les artistes comme Picasso, Matisse se tournent vers les arts africains pour renouveler le champ de la représentation.

Picasso représente un homme à la peau bien brune dans son portrait L’homme à la sucette.

Homme avec une sucette Picasso Pablo (dit), Ruiz Picasso Pablo (1881-1973)Etats-Unis, New-York (NY), The Metropolitan Museum of Art. La touche très graphique de ce tableau crée un trouble : où commence le chapeau et où finit la tête ?

Dans cette peinture de Fernand Léger, les grandes plongeurs noirs, les corps noirs se mélangent à d’autres de différentes couleurs. L’artiste avait été médusé par l’apesanteur des corps entremêlés dans une piscine.

Fernand Léger (1881 – 1955) Les grands plongeurs noirs 1944 Huile sur toile 189 x 221 cm

Henri Matisse représente une scène de danse avec un personnage noir découpé dans du papier. Le corps vibre sur ce fond bleu profond et les étoiles contrastent avec le reste de l’image. La tache rouge à la place du cœur, la position des bras peuvent nous rappeler le stréréotype de la Crucifixion. Mais ici, le sacrifice est joyeux et non pas dramatique.

Henri Matisse. Jazz – Icare (pl. VIII) Planche au pochoir d’après les gouaches et sur les découpages d’Henri Matisse.
Paris, Tériade Éditeur, 1947. Musée Matisse, Nice. Don des héritiers de l’artiste, 1963.
Photo : Archives Henri Matisse.

Klee en 1927  donne à son prince une dignité ironique :

Paul Klee. Prince noir. 1927. Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf.

L’artiste néerlandaise Nola Hatterman en 1930 donne à ce jeune dandy une allure si moderne, si hautaine en même temps, qu’elle fait oublier l’image prégnante du Noir esclave, victime ou inférieur en dignité.

Basquiat a été obsédé par les idées racistes et la mort. Peintre haïtien, il déplorait l’absence d’artistes noirs sur la scène contemporaine. Il peint comme un écorché vif son combat pour la reconnaissance des noirs dans le monde de l’art.

Jean-Michel Basquiat, « Untitled (Boxer) », 1982, Collection particulière © Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New York.

Basquiat semble en passe de gagner son combat : nombreux sont les artistes noirs actuellement reconnus sur la scène internationale, en témoignent par exemple et en guise de conclusion les portraits officiels de Barack Obama et de son épouse  :

Portrait du Président Barack Obama par Kehinde Wiley. 2018. National gallery of portrait, Washington.

Michelle LaVaughn Robinson Obama par Amy Sherald. 2018. National gallery of portrait, Washington.

Harmonia Gonzales, artiste afro-cubaine, revisite les tableaux célèbres de l’histoire de l’art et place des hommes et femmes noires à la place des blancs. « La création de Dieu » de Michel-Ange par Harmonia Rosales

L’image des Noirs dans l’art occidental a connu de nombreuses facettes contrastées. Cet être longtemps considéré, à tort bien évidemment, comme  différent a pu repousser et en même temps fasciner. Le rendu de la carnation des peaux foncées fut un exercice de virtuose dans l’histoire de la peinture. Les images les plus crues ont côtoyé les plus raffinées. Le Noir intrigue, inquiète ou est magnifié par de savantes mises en scène. La peinture a défié, voire devancé l’histoire en participant activement à l’émancipation des populations noires. Elle cherche à faire oublier ce sombre passé lié à l’esclavage mais celui-ci reste bien ancré dans la mémoire de ces peuples opprimés dans le passé. A la fois ancienne mais encore très vivace dans les cœurs, cette histoire est toujours présente dans l’art actuel. En effet, on ne peut pas d’un coup de pinceau effacer l’indignité qui a frappé des populations durant des siècles, malgré les nombreuses représentations de ces femmes et de ces hommes sublimés par bien des artistes.

Marie Lavin et Danièle Pérez, 11 décembre 2018

Partie 1 ici :

https://atomic-temporary-26416781.wpcomstaging.com/2018/12/11/limage-du-noir-dans-lart-occidental-partie-1/

 

(1)Les réseaux de la traite ibérique dans l’Atlantique nord (1440-1640)

António de Almeida Mendes

Dans Annales. Histoire, Sciences Sociales 2008/4. https://www.cairn.info/revue-annales-2008-4-page-739.htm

(2)https://www.histoire-image.org/fr/etudes/plan-bateau-negrier-symbole-mouvement-abolitionniste

(3)Anne Lafont. La représentation des Noirs : quel chantier pour l’histoire de l’art ?

 

António de Almeida Mendes

Dans Annales. Histoire, Sciences Sociales 2008/4. https://www.cairn.info/revue-annales-2008-4-page-739.htm

 

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