L’expérience optimale ou les clés de la motivation

Selon la théorie du psychologue Mihaly Csikszentmihalyi, Professeur émérite de psychologie à l’université de Claremont en Californie, les gens sont le plus heureux lorsqu’ils vivent un état dit de « flux » (« flow) ou d’expérience optimale dans laquelle ils sont entièrement immergés dans une activité qui les accaparent.

Pourquoi avoir choisi ce mot ? Tout simplement parce que plusieurs des nombreux sujets qu’il a interviewés lui ont répondu qu’ils se sentaient alors comme portés par un flux. N’avez-vous pas déjà vécu cette situation assez envoûtante, lors de la réalisation d’une activité, consistant à ne plus sentir passer le temps ni à sentir le monde environnant tellement vous étiez pris corps et âme dans celle-ci ?

« Par exemple, un compositeur, interrogé sur la façon dont il se sentait lorsqu’il écrivait avec aisance de la musique, a répondu : « On est dans un état extatique à un tel point qu’on sent comme si on n’existe presque plus. J’ai éprouvé cela à diverses reprises. Mes mains semblent détachées de moi-même, et je n’ai pas à intervenir dans ce qui est en train de se passer. Je suis simplement assis à observer, dans un état d’émerveillement. Et la musique jaillit d’elle-même, comme un flux. ». « (2)

Mais que désigne ce flux ? Est-ce une aptitude de notre cerveau ou est-il dû à un contexte environnant ?

Cet état est caractérisé par un sentiment de concentration énergique, de pleine implication et de plaisir. Nous avons tous mené des séquences d’arts plastiques où nous avons pu remarquer ce « flux » positif s’emparant de l’ensemble des élèves tous accaparés par leurs travaux, nous transportant nous-mêmes.

Csikszentmihalyi a entrepris des recherches sur le sujet après avoir été fasciné par les artistes qui « se perdent » dans leur travail, étant tellement plongés dans leur activité qu’ils peuvent ne pas tenir compte de leur besoin de nourriture, d’eau et de sommeil.

« Dans le souci d’identifier les conditions qui caractérisent les moments décrits par les gens comme étant parmi les meilleurs moments de leur vie, Csikszentmihalyii (1975) a interrogé des alpinistes, des joueurs d’échec, des compositeurs de musique et bien d’autres personnes qui consacrent beaucoup de temps et d’énergie à des activités pour le simple plaisir de les faire sans recherche de gratifications conventionnelles comme l’argent ou la reconnaissance sociale. Les résultats de ces recherches lui ont permis de définir le concept de l’expérience optimale, qu’il appelle « Flow » (Csikszentmihalyi, 1990), et qui réfère à l’état subjectif de se sentir bien (Csikszentmihalyi & Patton, 1997). Le Flow peut être ressenti dans divers domaines tels l’art, l’enseignement, le sport… Le Flow se manifeste souvent quand il y a perception d’un équilibre entre ses compétences personnelles et la demande de la tâche (Csikszentmihalyi, 1975). » (1)

«L’engagement dans une tâche précise (un défi) qui fournit une rétroaction immédiate, qui exige des aptitudes appropriées, un contrôle sur ses actions et une concentration intense ne laissant aucune place aux distractions ni aux préoccupations à propos de soi et qui s’accompagne (généralement d’une perception altérée du temps constitue une expérience optimale (une expérience flot)» ou flow. Il ajoute: «Comme conséquence (meilleure performance, créativité, développement des capacités, estime de soi et réduction du stress). Bref, elle contribue à la croissance personnelle, apporte un grand enchantement et améliore la qualité de la vie.» (Csikszentmihalyi, p.77)

Jeanne Nakamura et Csíkszentmihályi ont identifié six aspects entourant une expérience de flow :

  1. Concentration intense focalisée sur le moment présent.
  2. Disparition de la distance entre le sujet et l’objet.
  3. Perte du sentiment de conscience de soi.
  4. Sensation de contrôle et de puissance sur l’activité ou la situation.
  5. Distorsion de la perception du temps.
  6. L’activité est en soi source de satisfaction (une expérience qualifiée d’autotélique).

Pour ma part, j’en ajouterai trois autres :

7. La disparition de la perception du bruit/son environnant. L’élève est si concentré qu’il n’entend plus rien. (même pour les musiciens qui répètent dans des espaces bruyants)

8. Le rapt spatial: l’élève est comme en dehors de l’espace qui l’entoure. Il y aurait distorsion de l’espace, du son et du temps.

9. La focalisation visuelle, dans le flow: il y a une déconnexion du monde environnant et de ses images. L’élève est happé par son travail et ne voit plus rien autour de lui.

Le flow serait donc cet état dans un entre-deux, entre présence et absence, présence dans le faire et l’agir, absence ou abstraction du reste du monde avec cette perte d’ancrage dans le temps, l’espace, l’image et le son.

  • Dans l’éducation : Csikszentmihalyi a suggéré que sur-apprendre une compétence ou un concept peut aider les gens à vivre le flow. Un autre aspect de cette théorie est d’effectuer une tâche qui dépasse légèrement le niveau de compétence actuel d’une personne. Ce léger stress peut ainsi aider un individu à vivre le flow.
1 Equilibre entre défi et habilité

  • La tâche entreprise est réalisable mais constitue un défi et exige une aptitude particulière
2 Concentration sur la tâche,

  • L’individu se concentre sur ce qu’il fait
3 Cible claire

  • La personne exerce le contrôle sur ses actions
4 Rétroaction, feedback clair et précis

    • L’activité en cours fournit une rétroactivation (ou feedback)
  • les réussites et difficultés au cours du processus sont immédiatement repérées et le comportement ajusté
5 Absence de distraction

  • L’engagement de l’individu est profond et fait disparaître toute distraction
6 Contrôle de l’action

  • La personne exerce le contrôle sur ses actions
7 Absence de préoccupation à propos du soi – dilatation de l’ego

(mais paradoxalement, le sens de soi se trouve renforcé)

  • La préoccupation de soi disparait mais, paradoxalement, le sens du soi est renforcé à la suite de l’expérience optimale
8 Altération de la perception du temps

  • La personne est entièrement accaparée par ses actions
  • La perception de la durée est altérée
9 Expérience autotélique – bien être

  • La personne ressent un bien-être profond

 

Dans sa théorisation originelle (Csikszentmihalyi, 1990), l’expérience optimale apparaît, entre l’inquiétude (l’anxiété) losrque le problème est trop compliqué à résoudre et l’ennui lorsque la consigne est trop simple. Le flow apparaît lorsqu’il y a une correspondance adéquate entre le défi (les exigences de la tâche) et les capacités de l’individu. L’expérience optimale rend l’individu capable d’oublier les aspects déplaisants de la vie, les frustrations ou les préoccupations. La nature de l’expérience optimale exige une concentration totale de l’attention sur la tâche en cours, de sorte qu’il n’y a plus de place pour la distraction: c’est la raison pour laquelle le bruit, les images, le temps, l’espace sont comme suspendus.

 

Agarwal et Karahanna (2000) proposent le concept d’absorption cognitive (AC) qu’ils définissent comme un profond état d’engagement à travers cinq dimensions :

  • la dissociation temporelle ou la perte de la notion du temps ;

  • l’immersion ou la concentration totale dans une tâche ;

  • l’intensité du plaisir ;

  • le sentiment de contrôle de l’interaction ;

  • la curiosité sensorielle et cognitive.

source : https://www.penserchanger.com/le-flow-et-lexperience-optimale

La motivation représente le construit hypothétique utilisé afin de décrire les forces internes et/ou externes traduisant le déclenchement, la direction, l’intensité et la persistance du comportement. En éducation, le défi est d’optimiser la rencontre synergique de ces deux dimensions (motiver l’individu mais aussi créer un climat motivant) afin de favoriser les apprentissages.

Pour l’élève, acquérir de la motivation et aborder, franchir les attendus posés par les programmes c’est :

  • Eprouver le sentiment d’accessibilité aux défis lancés. Car apprendre est une chaîne ininterrompue d’efforts et d’obstacles. Il n’y a pas d’apprentissage sans effort, et surtout d’apprentissage efficace sans dépassement de soi. Et le défi fait partie de l’équipement de base de l’humain. Nos situations problèmes sont de véritables défis lancés aux élèves.
  • Un enchaînement paradoxal : la motivation est un moteur pour avancer. Mais l’apprenant est d’autant plus motivé qu’il sent qu’il peut se dépasser ! D’où la difficulté de construire et maintenir la motivation au long du parcours de l’apprenant, surtout de ceux qui sont potentiellement en difficulté. C’est pourquoi nous devons alterner pratique et mises en commun pour maintenir le flow et la motivation qui en découlent.
  • A chaque étape de l’activité, l’élève doit sentir que surmonter l’exigence est possible pour lui, nécessitant un petit effort tout de même pour la dépasser. Se met alors en action une dynamique interne : « Un défi possible à relever, un cheminement pour le relever, le constat de l’avoir relevé, la récompense (intérieure ou venant de l’extérieur) d’avoir pu le relever ». C’est alors que vient la satisfaction personnelle d’avoir réussi une tâche, dépassé un obstacle avec pour conséquence une meilleure estime de soi.
  • D’où la place de l’horizon de sens, trop souvent absent car si évident pour l’enseignant qui baigne depuis des années dans les tenants et aboutissants de sa discipline. Mais qui peut rester totalement mystérieux pour l’élève. En revanche, enseigner par compétences donne le sens aux élèves qui sont conscients des apprentissages qu’ils mettent en jeu.
  • Une condition préalable est de poser un contrat clair avec l’élève: « Voilà ce qui est exigé, ce que l’on attend de lui, les difficultés susceptibles d’être rencontrées, le résultat à atteindre, là où il en est, le chemin à parcourir ». Il est alors psychologiquement prêt. C’est la raison pour laquelle, il est préférable de donner des consignes claires, pas trop longues ni à tiroirs (avec une succession de demandes que les élèves ne pourront pas retenir) et de la répéter une ou deux fois pendant la pratique des élèves afin qu’ils restent focalisés sur le problème à résoudre.
  • Une autre condition est de mettre à sa disposition les moyens pour y parvenir. D’où le rôle crucial de l’enseignant qui fournit :
  1. Les outils, le dispositif
  2. Les stratégies: comment appréhender le problème, identifier ce qui fait problème, identifier les solutions possibles, choisir la plus adéquate pour l’élève, comment tirer parti de cette expérience.
  3. La ludification du cours peut aider à la mise en scène du flow en classe.

 

5 caractéristiques d’un contexte de classe favorisant l’expérience optimale (en faveur de l’éducation positive)

1.La clarté

Les élèves savent ce que leurs enseignants attendent d’eux : les buts et l’envie de trouver une solution personnelle.

2.L’intérêt

Les élèves perçoivent que les enseignants se préoccupent de ce qu’ils font.

3.Les choix

Les élèves sentent qu’ils ont une gamme de possibilités parmi lesquelles ils peuvent choisir.

4.La confiance

Les élèves en qui ses enseignants ont toute confiance sont plus authentiques et peuvent s’impliquer dans ce qu’ils font en étant moins préoccupés d’eux-mêmes, en cherchant moins à se défendre pour restaurer leur intégrité.

5.Le défi

Les enseignants s’efforcent de fournir des possibilités d’action présentant des difficultés croissantes au fur et à mesure que l’élève s’accomplit.

6.La ludification du cours

Un cours ludique sera toujours plus efficace qu’un cours sérieux et laborieux. Les élèves seront plus impliqués dans leur tâche surtout s’il y a un défi. Mais qui dit défi ne dit pas forcément compétition.

Conclusion:

Vibrer dans le le flow, » dans l’enseignement et notamment en arts plastiques permet de faire vivre les compétences. Cet état qui mélange concentration et émerveillement pousse les élèves à élargir leurs compétences et à acquérir une meilleure estime de soi. Ce bonheur vient du fait que l’élève a senti qu’il a vaincu des obstacles et poussé plus loin son champ de compétences. Faut-il interrompre les élèves quand on constate que la classe est dans le « flow » alors que le temps imparti arrive à son terme ? Pour ma part, je ne pense pas car cet état d’esprit dans lequel se trouvent les élèves ne doit pas être brisé histoire de respecter son timing. Cela ne risque-t-il pas de générer de la frustration chez les élèves ?

Sitographie

(1) http://jean.heutte.free.fr/spip.php?article54

(2) http://www.psychologie-positive.net/spip.php?rubrique29

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